Bien évidemment, croire que tout le monde se laisse ainsi abuser, c’est avoir une bien piètre idée de l’homme, direz-vous peut-être… et effectivement, l’expérience réalisée dans le métro de Stuttgart, ou d’autres villes comme Paris ou Lyon par exemple, montre que les gens ne se laissent pas avoir ainsi, et développent divers stratagèmes pour ne plus être influencés à l’insu de leur plein gré…
Certains, une proportion croissante non négligeable, s’en remettent à leurs oreilles, arguant qu’en se concentrant sur cet autre sens, leur cerveau ne se laisse plus aussi facilement berner : écouteurs vissés sur les lobes, ils choisissent ainsi de se concentrer sur autre chose… le regard dans le vide, côte à côte, chacun d’eux se concentre donc fébrilement sur ce mini mini monde sonore, dans l’attente insoutenable de l’arrivée du moyen de transport. Mais dès qu’un moment d’inattention les prend, certains finissent par replonger : écouteurs sur les oreilles, regard plongé dans l’écran, patatra, l’astuce a échoué, et ils y ont perdu un sens supplémentaire.
D’autres s’en remettent à la lecture, arguant que c’est une démarche active, cette fois-ci, plus à même de les prémunir de toute intrusion indésirable. Pratique : des distributeurs de presse gratuite (type direct matin ou le 20’) les attendent aux abords des rames de métro ou des quais de gare à chaque ouverture, dès le petit matin.
Ainsi, par cette démarche active, le passant du métro se verra administrer à peu près la même information abstraite du monde, toutefois avec un vocabulaire un peu plus développé (nous ne détaillerons pas ici le contenu de ces éditions, très proche de celui déjà détaillé dans le ‘filet à actu’).
Ces distributeurs, selon les lieux, sont dévalisés dès 9h.
(Notons que parfois, le côté 'actif' est un peu aidé, et de très serviables personnes nous attendent aux entrées des gares de diverses villes de France, toujours plus nombreuses, pour nous offrir les nouvelles du monde en main propre... la frontière entre passivité et initiative devient alors de plus en plus ténue....)
Ceux qui restent enfin de la bataille, ont apporté un journal acheté, un magazine, un livre. Ils discutent, ou observent. Ils pensent ou réfléchissent. Ou finissent de se réveiller.
Quelle est cette proportion ?
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Bien évidemment, tout le monde ne prend pas le métro ou le train pour se rendre à son travail, et n’a pas à descendre vingt mètres sous terre pour subir la même intrusion : notre besoin d’informations est dans ce cas souvent machinalement assouvi par la radio. Et une analyse rapide des titres de l’actualité diffusés (et développés de 6h à 9h chaque matin de sorte à ratisser large sur la route du travail) permettrait certainement de parvenir à la même conclusion : c’est encore le même contenu que celui projeté en condensé sur les écrans ou rédigé dans les direct matins, à savoir la menace d’attentat, le scandale politique, la menace de cambriolages, la nécessité de rapidement choisir le smartphone qui n’attend plus que nous, et enfin, un petit rappel sur la joie que ressentirait toute la famille à aller faire un petit tour au parc d’attraction.
De l’autre côté de la fenêtre de votre véhicule, le monde réel.
Qui défile, inodore, insonore… extérieur et étranger.
Plus qu’un espace, un temps vous sépare : celui de votre inertie.
Qu’un évènement extérieur se produise – un homme vous fait signe, un chevreuil bondit sur le bord de chaussée… – votre allure est telle que vous êtes déjà ‘ailleurs’ lorsque vous aurez décidé de réagir. Votre salut à la personne connue s’adresse au vide, et le chevreuil a déjà disparu, dans les fourrés… ou sous votre capot.
Le monde réel se glisse parfois dans notre bulle, qui par un imprévu, se fend et implose : accident, panne du véhicule, intempéries soudaines… voilà que notre bulle se fissure de partout et prend le réel.
Qui coule autour de nous et nous baigne…
Ces incursions ‘imprévues’ du réel ont souvent lieu malgré nous.
Je les reçois pour ma part avec une joie secrète (sans pour autant les provoquer).
Mon véhicule est tombé en panne ? Ce n’est pas grave, je le quitte et coupe à travers bois pour trouver quelqu’un qui puisse me dépanner au village le plus proche. Une promenade improvisée qui me fait rencontrer un spécimen de plus de l’espèce humaine, et qui m’informe qu’il est en plus très content de m’aider. Tiens : le monde n’est plus peuplé de cambrioleurs et de brigands que l’on me décrivait quelques minutes plus tôt à la radio.
Il est tombé 50cm de neige dans l’après-midi, et je suis coincé avec des centaines d’autres automobilistes sur l’autoroute? Tous dans la même galère, nous descendons de nos véhicules et nous mettons à discuter, prendre les choses à la rigolade même, chose tout à fait impossible à vive allure. Ce ‘connard’ qui nous avait grillé la priorité s’avère en fait être un médecin qui avait une urgence. Vous lui en voulez soudainement moins qu’il y a cinq minutes…
En deux expériences directes, le monde vous paraît de suite moins laid que celui décrit sur écrans, journaux ou ondes radios, ou vécu de l’intérieur sourd de votre bulle douillette.
La confrontation du monde sensible contraste souvent avec le monde abstrait qui filtre en nos esprits par doses plus ou moins homéopathiques à travers divers filets jetés sur le monde, plus ou moins invisibles, déployés entre ce monde sensible, et nous.
Et de ces deux modes d’appréhension, sensible ou abstrait, lequel favorisez-vous ?
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