lundi 13 juillet 2015

Peterhof, lieu de retrouvaille

 
Même si Saint Pétersbourg n’est pas une capitale, il faut avouer qu’y arriver sur le tard sans n’avoir rien réservé au préalable n’est peut-être pas la meilleure idée que l’on puisse avoir dans l’absolu. Aussi nous décidons-nous à chercher à loger à une vingtaine de kilomètres de là, à Petrodvorets (également connue sous le nom plus européen de Peterhof).
Si, et c’est bien connu, tous les chemins mènent à Rome, toutes les rues de Peterhof semblent mener à la perspective Saint Pétersbourg, qui borde le palais. Des millions de visiteurs venus du monde entier et déversés par un flot continu de bus la parcourent chaque année.
A quelques pas de l’entrée du palais, en vis-à-vis, la Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, superbement ignorée par le flot de touristes et comme retirée hors du temps et du tumulte, à l’ombre de ses platanes centenaires.
Echoués là, nous profitons de ce large espace vert pour reprendre souffle… et esprit.
 
La transition est en effet radicale : il n’y a pas vingt minutes, nous étions encore dans un autre monde. Embarqués depuis des heures à bord d’une galère végétale (car comment, en toute sincérité, appeler autrement cette bande de goudron médiocre et rectiligne jetée entre ciel et terre à travers une interminable forêt de bouleaux, aulnes et autres conifères obstinés?), les choses soudainement se sont mises à dérailler : la bande de goudron médiocre, sans prévenir, est devenue d'un seul coup une deux fois deux voies bordée d’arrêts de bus, enjambant presque aussitôt une autoroute avant de poursuivre sur plusieurs kilomètres des allées de lampadaires et de lignes électriques tendus comme des fils à linge pour finalement s’essouffler aux abord d’un carrefour à grand trafic de l'autre côté duquel, dressées sans transition, des barres d’immeubles successives font face au rien.

A la forêt, aux champs. A la campagne, au vide.

Une transition brute et sans préliminaires.
De l'autre côté du trafic, les rues se frayent un passage entre brique et béton,   perpendiculairement à la départementale : sautant le pas, nous nous sommes engagés sur la rue Tchitcherine, remontant ses balcons défraichis, ses arrêts de bus, ses parkings bondés, ses allées piétonnes à poussettes et grand-mères à bob, ses barrières, ses passages cloutés, ses panneaux, ses feux, ses nids de poule…
Au bout du quartier populaire, un terrain vague aux pelouses clairsemées, nu sous la lumière blanche, où se sont établis des chapiteaux provisoires de vendeurs de fruits et légumes, des tréteaux sur lesquels des camionnettes usées ont régurgité leur amas de babioles, de tissu froissés, de sandales multicolores et de bijoux factices…
 
Au bout de tout cela, la ligne de chemin de fer, comme un coup de scalpel urbain, marque une nouvelle délimitation nette dans le paysage.
Les rues parallèles du quartier buttent contre elle et n’ont d’autre choix que d’avorter sur la seule rue qui la longe. Un seul passage à niveau, à quelques hectomètres de là.
Qui une fois franchi s'avère être un ‘passage de niveau’.

C'était il y a dix minutes... c'était il y a une éternité, c'était... fondamentalement ailleurs.
 
Au-delà du rail, en effet, le bitume lisse, les pelouses soignées de la rue de Peterhof qui se déploie le long d’allées taillées et qui invitent à la promenade pour mener, au terme de quelques hectomètres de rêverie, à un carrefour: en travers de celui-ci, la vénérable perspective Saint-Petersbourg.
Un bitume encore plus lisse, des façades impeccables, des massifs floraux géométriques, des autobus de toutes tailles qui se suivent et stationnent en double file, des allées piétonnes ombragées et des gazons bichonnés où piétinent à présent des milliers de pieds de vacanciers.

Des kiosques de vendeurs de glaces et de boissons, d’autres bus, des passages cloutés qui déversent à présent d’un bord à l’autre de la rue un flot continu de bras, de jambes multicolores et indistincts. Des barrières les canalisent en un flux peu à peu comprimé tout au long des grilles scintillantes, afin de parvenir à injecter tout cela à travers le majestueux portail de l’entrée du palais.

Le palais de Peterhof, joyau d'architecture et d'Histoire, submergé par le nombre, claquettes à l'attaque, et valse de bobs, d'objectifs et de lunettes de soleil.
 
Quelques hectomètres plus loin, la Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, étrangère à tout ce brouhaha, retirée telle une vieille dame, bien à l’abri de son petit parc végétal.
Sous les branches de ses platanes centenaires, des allées moussues, des gazons rebelles. Quelques marguerites en fleur.
Et des bancs, dos tournés à la perspective.


Des bancs.


De très vieux bancs de bois, aux dossiers savoureusement inclinés.

Des bancs étrangers et éternels, des bancs, havres de paix, où nous reprenons enfin souffle...


Souffle... et esprit.
 
 

...

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Un bonhomme passe pas très loin de nous. Remontant la perspective une fois, deux fois…

 
... à la troisième, il ose en croire ses yeux.
 
...


Depuis la dernière fois qu'il a osé nous aborder, il s’appelle toujours Reiner.

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