vendredi 17 juillet 2015

Des âmes vagabondes assises sur un même banc

 
Reiner rit, comme toujours.
Il rit du hasard, qui nous mènent à nous rencontrer par deux fois, à rien de moins que mille kilomètres de distance.
Il rit également de nos mines.
Des mines de déterrés, nous assure-t-il gentiment.
‘Alors la jeunesse, on ne tiendrait pas le choc ?’
Naturellement, il s’assied avec nous, à l’ombre des platanes.
Trois âmes vagabondes assises sur un même banc, et qui font face à Saint-Pierre-et-Saint-Paul.
 
Nous nous racontons nos parcours respectifs. Reiner a également fait le plein de souvenirs plus ou moins heureux et d’anecdotes. Au fil des heures qui s’égrènent, nous revivons ainsi à tour de rôle et par le récit ces rencontres, ces paysages. Ces moments de joie, de respiration, d’abandon ou de fatigue.
‘Nous sommes riches’, finit-il par conclure.
Oui… nous sommes riches.
Mais si notre butin nous satisfait amplement, il n’en va pas encore de même de Reiner, qui a un appétit d’ogre insatiable : lui continue le voyage. Vers la Finlande, la Suède… il ne sait pas trop quand il rentrera. Il pense encore faire le tour de la Baltique, s’offrir quelques mois encore, et puis, pourquoi pas, retraverser l’Allemagne par le Danemark pour rentrer à la maison.
Enfin, il a le temps.
 
Pour nous, le retour à la maison est un sentiment omniprésent. Nous y sommes déjà, dans nos têtes.
Au côté de notre lit moelleux et de son armoire garnie de linge propre, la chatte qui ronronne. Les piles de livres à grignoter. Les rayons de la bibliothèque, les fauteuils… les albums à photos et les carnets d’adresse. Nos instruments de musique.
Et nos bêches et binettes (toujours cultiver son jardin !).
Reiner se moque toujours, en riant gentiment, car il comprend très bien tout cela.
‘Vous verrez, avec le temps… vos appétits d’oiseaux s’aiguiseront et vous en voudrez toujours davantage !’.
Une chose nous intrigue toutefois : comment fait-il pour voyager aussi longtemps seul, sans se décourager ? En nous moquant évidemment de nous-mêmes, nous lui dépeignons l’état d’apathie dans lequel nous nous trouvions pas plus tard que le matin même.
Il nous avoue vivre parfois de tels moments. Mais ces moments, nous assure-t-il, avec de l’expérience, ne durent pas. La réceptivité est un carburant qui se gèrerait.
Il faut faire des pauses, voilà tout. S’offrir quelques moments de vacance, lors du voyage.
Ne pas oublier de respirer, au risque de faire un voyage en apnée… et s’épuiser.
Quant au fait de voyager seul, cela aurait de nombreux avantages. Le premier étant de ne pas devenir cannibale : à l’en croire, qu’on ne se soit pas bouffés l’un l’autre après tant de kilomètres tiendrait presque du miracle.
Le second, bien sûr, c’est la rencontre.
Lorsqu’on est seul, il est bien plus facile encore de nouer contact : un homme seul au-dessus de son réchaud désarme souvent les méfiances, et il n’est pas rare qu’on soit invité le plus simplement du monde à partager une soupe, une histoire ou un lit.
Et puis seul... on n’a pas d’autre choix que d’apprendre à vivre avec soi.
Et s'il y a des moments difficiles, hé bien, il ne faut pas s’en faire au fond : il vient toujours une chanson à fredonner qui redonne le moral.
Il dit cela calmement, un sourire aux lèvres et le regard toujours tourné devant lui, dans le vague.
 
Quant à la question du bonheur, si nous avons avancé ?
Difficile de répondre en quelques mots. Des grandes lignes sont là, il nous semble y voir plus clair, mais les mots prononcés semblent encore bien faibles pour exprimer ce qu’il nous semble avoir compris.
Il n’insiste pas.
 
‘Ceci dit…’ commençai-je.
 
‘Ceci dit, même si nous ne sommes pas arrivés au bout de la question, il me semble que raconter tout ça, le voyage, les réflexions et les sentiments qu'il aura suscités en nous serait une bonne chose.
Raconter la rencontre. Les paysages. Les moments de joie, de respiration.
D’abandon ou de fatigue aussi.
Partager ces petites histoires que nous avons vécues, offrir ces images qui remplissent à présent nos petits carnets.
Raconter ce que nous avons vu de réel et d’enthousiasmant…’
Je sens son regard aiguisé se tourner vers moi.
 
‘Et pourquoi ferais-tu cela ?’
Il me faut à nouveau quelques minutes de silence pour répondre.
 
‘Je crois qu’en témoignant de la beauté des choses que l’on découvre en parcourant le monde, on peut, à son échelle, aider son pays à s’ouvrir…
… et, qui que puisse être cet autre qui pourrait lire ces lignes, il me semble que cela pourrait apporter un témoignage réconfortant à travers la peur qui le baigne et l’englue.
Lui apporter… je ne sais pas…
... juste…



... un peu de réel...

... de vie…



... juste…

... un peu d’air ?
 
Reiner sourit de manière énigmatique.
Et n'ajoute rien de plus.


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