Saint Pétersbourg, terminus de notre échappée.
Concept, idée sans chair véhiculée depuis le début du
voyage, et même bien avant encore, voilà que Saint Pétersbourg, après quelques milliers de kilomètres et de trésors amassés, approche 'pour de vrai'.
Plus que quelques kilomètres, et nous y serons en effet.
Comment vivre alors cette immersion dans un monde qui nous aura accompagné dès le début et chaque jour, devenu paradoxalement si familier par la pensée, un monde caressé et ressassé, mille fois
imaginé ?
La question n’est pas anodine : chaque année, des
personnes s’avèrent en effet vulnérables à l’expérience, et doivent parfois même être
hospitalisées.
Cette pathologie porterait même un nom: le syndrome de
Paris.
Paris et les Champs Elysées. Paris et Montmartre.
Paris et la couture, l’élégance.
Paris, ville de l’Amour.
Coco Chanel, n°5.
Paris… tout simplement.
Seulement, Paris ne reste malheureusement pas toujours Paris, et au-delà des
fantasmes cristallisés à travers les siècles et les pages de magazines, la
réalité est souvent bien moins rose que tout ce que l'on y aura projeté… et l’expérience peut s'avérer être tellement éloignée de ce qu’un visiteur trop sensible aura imaginé à
travers des années de projection, que le choc de la confrontation à la réalité le
laissera tout à fait groggy, pouvant même provoquer littéralement chez lui une ‘rupture de
perception’ dont les syndromes n'ont parfois rien d'anodin : hallucination, paranoïa, sentiment de folie, etc…
Aussi est-ce avant tout pour une salutaire question de santé mentale que la plupart du temps nous prenons bien soin de ne pas trop nous documenter sur nos destinations de voyage...
Aussi est-ce avant tout pour une salutaire question de santé mentale que la plupart du temps nous prenons bien soin de ne pas trop nous documenter sur nos destinations de voyage...
Ceci dit, il faut bien avouer que même sans trop creuser le
sujet, il est difficile d’arriver à Saint Pétersbourg sans un certain bagage
imaginaire : tout le monde aura déjà vu quelque part les images du Palais
d’Hiver, le palais de l’Hermitage (souvenir précis de notre vieille dame
rencontrée à Letschin),
tout le monde aura de même déjà entendu quelque récit des bals du tsar Nicolas
II, l’Histoire de la princesse Anastasia, à l’aube d’une révolution…
Difficile également d’y arriver sans justement quelques
souvenirs de récits de révolutions, entre dimanche sanglant et révolution
d’octobre, quelques bribes de récits fondateurs des figures emblématiques du bolchévisme, tels Lénine et autres Trotski.
Des images inconscientes, sur les étagères de notre mémoire, où la Neva gelée emprisonnerait le majestueux palais d’Hiver en feu.
Un croiseur, et un coup de semonce au petit jour.
Un croiseur, et un coup de semonce au petit jour.
Des images de dessins animés qui se mêleraient à de lointains cours
d’Histoire.
Et de littérature aussi… Dostoïevski en tête, mais aussi Gogol.
Ou encore de musique : Saint Pétersbourg, la ville des compositeurs légendaires. Tchaïkovski, Borodine,
et bien sûr Chostakovitch, et sa 7ème gravée dans l'Histoire...
Inconsciemment, ce sont autant d’images et d’évocations véhiculées en nous aux abords de Saint Pétersbourg, bagage de souvenirs activés comme par magie au seuil de cette porte occidentale de Russie,
cette 'fenêtre ouverte sur l'Occident', renommée selon les sursauts de l'Histoire, d'abord Petrograd puis, bien sûr, Leningrad.
Et pour chaque nom, un décorum propre.
Si derrière Petrograd, ce sont des foules noir et blanc qui
s’élancent sur une place enneigée face à des soldats en joue, Leningrad en
revanche couve en son sein des ruines, des centaines de milliers de cadavres et 900
jours de siège.
Saint Pétersbourg.
Comment vivre alors cette immersion dans un monde mille fois
imaginé sans être submergé par mille images ?
…
En se contentant simplement des éléments du réel.
En se concentrant sur nos sens.
De manière prosaïque, Saint Pétersbourg, c'est ainsi avant tout une pancarte.
De manière prosaïque, Saint Pétersbourg, c'est ainsi avant tout une pancarte.
Saint Pétersbourg est en effet une ville, et comme toute
ville, possède aux abords de son territoire… une pancarte.
Quelques mètres avant, nous n’y sommes pas.
Quelques mètres après, nous y sommes.
Passée la pancarte, coincés entre la voie de tramway, de
chemin de fer et la deux fois deux voies, nous y sommes donc. CQFD.
Moment symbolique, nous posons donc devant cette pancarte,
déposant notre appareil sur le couvercle d’une bouche d’égout, sous le regard
incrédule des automobilistes et des passagers de tramway qui se succèdent d’un
côté et de l’autre.
Cette pancarte n’est pas le but du voyage, pas plus qu’elle
n’en est l’aboutissement.
Cette ville n’est pas évidemment pas... 'Saint Pétersbourg'.
‘Tout n’est que
mensonge ici, tout n’est que rêve, et la réalité est complètement différente
des apparences qu’elle revêt’.
Dès les premiers hectomètres, après la pancarte, la deux
fois deux voies se poursuit pourtant. Des portiques publicitaires se succèdent alors.
Des affiches grand format pour des smartphones. Des crédits
à taux zéro. Du Coca-Cola.
Nulle allégorie, mais la réalité 'pure'.
Aux abords des premiers carrefours urbains, Nathalie (pas
celle de Gilbert, mais celle de Léon) nous reçoit, faussement ingénue, dos nu
retourné, main pudiquement recroquevillée sous l’aisselle.
Plus trash, Eddie enserre sa guitare de l’autre côté de la
rue, tenant la terre de son autre main à l’occasion du world tour du groupe
Iron Mayden.
Autre genre, visage emmitouflé dans son hermine, regard
ténébreux et explicitement aguicheur derrière une cascade de cheveux
blonds, Britney Spears nous invite à la
rejoindre dans son femme fatal tour.
Rien n'y fait : malgré nos sens, nous ne sommes décidément toujours pas à Saint Pétersbourg.
Bientôt, les premiers squares. Les premiers signes.
Par dessus le toit des véhicules stationnés, des statues.
Des ouvriers triomphants, visage lézardé et taillé à la serpe.
Plus loin, au cœur du trafic, ligoté de fils électriques et cerclé de panneaux circulatoires, l’arc de triomphe de Narva est là, qui immortalise depuis deux siècles la raclée infligée à Napoléon.
Par dessus le toit des véhicules stationnés, des statues.
Des ouvriers triomphants, visage lézardé et taillé à la serpe.
Plus loin, au cœur du trafic, ligoté de fils électriques et cerclé de panneaux circulatoires, l’arc de triomphe de Narva est là, qui immortalise depuis deux siècles la raclée infligée à Napoléon.
Les premiers quais de la Venise du Nord apparaissent bientôt, le long desquels glissent des péniches à casquettes et haut-parleurs. Encore un peu plus loin, le Marinsky aux couleurs pastels, tutu et ballerines, affiche ses prochains rendez-vous.
Puis les rives de la Moïka, aux eaux sombres sous la lumière blanche.
Remontant celle-ci, nous échouons bientôt sur l'imposante place Saint Isaac autour de laquelle tournent en carrousel les bus venus du monde entier. Au loin, les dorures du dôme de la Cathédrale homonyme scintillent.
Enjambant le pont bleu, nous nous laissons avaler quelques instants par la valse du carrousel, avant de nous laisser éjecter plus en avant le long de la Moïka, en direction du pont rouge.
Nos têtes tournent encore légèrement, tandis que les couleurs se mêlent.
Nous guidant toujours aux rives de la Moïka, nous la remontons doucement, concentrés sur tout ce qui nous entoure. Nous apercevons bientôt le pont vert... pont vert qui marque enfin le croisement avec la légendaire perspective Nevsky.
Puis les rives de la Moïka, aux eaux sombres sous la lumière blanche.
Remontant celle-ci, nous échouons bientôt sur l'imposante place Saint Isaac autour de laquelle tournent en carrousel les bus venus du monde entier. Au loin, les dorures du dôme de la Cathédrale homonyme scintillent.
Enjambant le pont bleu, nous nous laissons avaler quelques instants par la valse du carrousel, avant de nous laisser éjecter plus en avant le long de la Moïka, en direction du pont rouge.
Nos têtes tournent encore légèrement, tandis que les couleurs se mêlent.
Nous guidant toujours aux rives de la Moïka, nous la remontons doucement, concentrés sur tout ce qui nous entoure. Nous apercevons bientôt le pont vert... pont vert qui marque enfin le croisement avec la légendaire perspective Nevsky.
A gauche, l’Hermitage,
qui se trouve selon notre plan à deux petits kilomètres plus à l’ouest.
Nous prenons à droite, car pour nous, Saint-Pétersbourg est ailleurs.
La voie de droite est libre, nos jambes retrouvent appui sur nos pédales, et les poussent vers le bas : malgré nos efforts déployés pour 'rester dans le réel', les roues de notre tandem, à partir de cet instant, foulent l’imaginaire.
Nous avançons alors, fébriles, presque malgré nous, et nous nous sentons flotter dans une dimension parallèle, ballottés entre efforts d'attention redoublés pour vivre en pleine présence cet instant tant attendu et délires de l'excitation.
Nous avançons alors, fébriles, presque malgré nous, et nous nous sentons flotter dans une dimension parallèle, ballottés entre efforts d'attention redoublés pour vivre en pleine présence cet instant tant attendu et délires de l'excitation.
Echappé de notre imaginaire trop longtemps retenu, Gogol rit en effet comme un damné et tourne et retourne autour de nos têtes en nous ouvrant la voie, virevoltant tel un oisillon frénétique, un ange surexcité...
Malgré le trafic, l’émotion nous submerge tout à fait et nous flottons au-dessus de tout ce qui nous entoure.
Malgré le trafic, l’émotion nous submerge tout à fait et nous flottons au-dessus de tout ce qui nous entoure.
De la largeur de ses 8 voies, la perspectives Nevsky est notre Champs-Elysées à nous, un aboutissement total, une voie céleste de soulagement débordant, un arc en ciel
de lumière tendu entre ciel et terre. Le soleil cogne et le goudron irradie. Les formes s'y mêlent, scintillent tandis qu'autour les
façades semblent se retirer et s’ouvrir devant nous, telle une mer rouge grande ouverte.
Nos corps sont pourtant bien là, légèrement en dessous, et pédalent toujours, pantins dociles, tandis que nous nous en absentons pour de bon.
Alors que nous nous approchons de Notre Dame de Kazan, le monde, porté à bout de bras, flotte en effet bientôt juste au-niveau de
nos têtes...
Ballons d'hélium, nous poursuivons notre ascension, tandis qu'en bas, deux êtres sur une même embarcation arrivent peu à peu vers l'ultime carrefour.
Un crescendo de caisses-claires dilate encore davantage nos crânes en fièvre, alors qu'espace et lumière se déploient, gigantesques.
Un thème entêtant, buté, surgi de lointains souvenirs, et qui bientôt s'empare de nos êtres.
Ballons d'hélium, nous poursuivons notre ascension, tandis qu'en bas, deux êtres sur une même embarcation arrivent peu à peu vers l'ultime carrefour.
Un crescendo de caisses-claires dilate encore davantage nos crânes en fièvre, alors qu'espace et lumière se déploient, gigantesques.
Un thème entêtant, buté, surgi de lointains souvenirs, et qui bientôt s'empare de nos êtres.
Il enfle encore et encore, alors que les derniers mètres qui nous séparent du carrefour s'effacent.
Cette fois-ci, Saint Pétersbourg est toute proche…
Arrivés sur les rives du canal, juste en face de Kazan, il ne nous suffit alors plus qu’à pivoter la tête pour la percevoir par nos yeux.
Cette fois-ci, Saint Pétersbourg est toute proche…
Arrivés sur les rives du canal, juste en face de Kazan, il ne nous suffit alors plus qu’à pivoter la tête pour la percevoir par nos yeux.
Dans nos crânes prêts à exploser, l'allegretto de la 7ème
s'est imposé tout à fait et tonitruone son thème endiablé en paillettes multicolores.
Gogol rie et roule sur lui-même, encore et encore dans un vortex vertigineux… les astres irradient et enflent encore et encore.
Gogol rie et roule sur lui-même, encore et encore dans un vortex vertigineux… les astres irradient et enflent encore et encore.
Les yeux embués, le cœur Hiroshima, nous sommes prêts à
basculer.
Là-bas, au bout des quais, c’est elle, qui nous attend.
Elle, point d'orgue absolu de tous ces paysages parcourus, vus et vécus...
Saint Pétersbourg.