La Baltique est une drôle mer.
Ses eaux sont très douces
comparées aux eaux marines. A la fois trop peu salées pour que les espèces
marines puissent y vivre, mais trop toutefois pour que les espèces d'eau douce
s'y sentent à leur aise.
Au final, c'est une mer très peu
'vivante' : sa biodiversité est en effet ridicule.
Si l'on ajoute à cela une
amplitude de marée dérisoire (à peine quelques décimètres, souvent compensés
par le ressac des vents 'côtiers'), il n'est alors pas exagéré de dire que pour
tout amoureux de pêche aux coquillages, il est assez ennuyeux de se promener le
long de ses rives...
Et si, au pied du phare, nous
découvrons quelques filets accrochés aux branches basses des arbres alentour,
ce n'est pas pour y piéger quelques fruits de mer, mais, comme le dirait Edite,
pour y collectionner quelques petites merveilles du monde...
Entremêlés à ses filets déployés
à l'ombre des pins, quelques fleurs de rivage, des pommes de pin aux formes
biscornues, des morceaux de planches craquelées... certaines bourriches
contiennent du bois flotté, lisse et blanchi, aux formes disparates. D'autres
contiennent des os de seiche de diverses tailles... des galets sont triés par
nuances de couleur, d'autres pierres regroupées par morphologies, certains
semblables à de petits osselets.
Les trésors d'une caverne d'Ali
Baba certes modeste, mais dont le soin qui leur est porté révèle une
authentique ferveur.
Le phare est gardé par une femme.
Gardé contre qui, contre quoi, on ne saurait dire, mais c'est ainsi qu'elle
s'est présentée à nous : elle est la gardienne du phare... mais à
bien l'observer, nous nous demandons si ce n'est pas le phare qui la garde du
monde extérieur...
Son regard est toujours
bienveillant. Ses gestes lents, toujours suspendus. Sa voix est douce, presque
murmurée.
Parfois, même sa respiration
semble se suspendre : elle reste là, assise, les mains posées sur le banc
et la tête blottie dans ses épaules relevées, le regard perdu au loin,
parfaitement immobile... puis ses épaules retombent doucement tandis qu'elle
expire, cligne des yeux et tourne lentement la tête.
Sa fille lui apporte de nouvelles
branches.
La gardienne du phare glousse et
s'émerveille doucement, se lève, donne la main à sa fille, puis l'accompagne
sans hâte vers la table basse où, assises côte à côte, elles dissèquent le
butin du jour en devisant dans un ravissant babillage, dont ne nous comprenons
pas un traître mot.
Non loin de là, les vagues,
toujours, se frottent à la terre en murmurant...
Toute notre vitalité semble avoir
été absorbée par les lieux. Après quelques éternités écoulées en apesanteur,
suspendus tout en haut du phare, nous nous sommes résolus à en redescendre,
regardant, par intervalles, les cimes de pins se rapprocher peu à peu, jusqu'à
nous ensevelir.
Lorsque nous franchissons le
seuil de ce cylindre résonnant, nous sommes aussitôt bercés par les vagues et
le murmure des aiguilles de pin qui se frottent en se dandinant les unes contre
les autres.
La gardienne est là, avec sa
fille, au milieu du petit jardin, toutes deux penchées par dessus la table
basse. Nous restons là quelques instants à les observer.
Leur babillage est une
respiration, douce et régulière, tout juste entrecoupée de petits cris aigus et
de rires.
Le butin est honoré, l'assemblée
est dissoute : la gardienne se lève, défroisse doucement son pantalon de
toile, puis se tourne vers nous. Serions-nous intéressés par ce trésor ?
Même si nous ne comprenons rien à
ce qu'elle nous dit, ses gestes, son regard et son sourire sont clairs :
nous sommes invités à la rejoindre et à nous asseoir à sa table basse.
Nous nous approchons, amusés de
jouer le jeu : voyons voir quels fabuleux trésors sont dissimulés par
ici...
Le butin du jour nous est tout
d'abord présenté : nous regardons tour à tour ces branches qui ne sont
après tout que des branches puis notre gardienne, dont l'air doux ne trahit
pourtant aucun second degré... intrigués, nous nous laissons toutefois prendre
en suivant le long de ses doigts quelques lignes particulières, quelques
volumes sur lesquels elle s'appesantit.
Les portes de notre imagination
s'entrouvrent enfin. Certaines veines s'affirment et les lignes se dessinent.
De certains volumes apparaissent des visages, dissimulés. La branche, petit à
petit, se peuple de petits êtres mutins, et le décor enfin de déploie... un
petit monde se crée ainsi tout au long de ses doigts.
Nous nous penchons plus près
encore.
Nous voilà absorbés.
D'autres objets apparaissent ainsi :
des galets creux renfermant des cristaux ont des dents d'ogre, d'autres galets
cabossés, par quelques coups de crayons bien sentis prennent également vie : celui-ci est
une tête de tortue, celui-là ressemble à un crapaud bossu... nous sourions de
tant de malice.
Une corbeille est tirée de sous
la table : les os de seiche sont sculptés. Des petites scènes, des décors
minimalistes et des personnages en caricature...
Nous sommes séduits...
Redevenus enfants, nous en
redemandons, attendant presque avec une secrète impatience ce qui sera offert
juste après, en manne à notre imagination. Nous voilà pris au jeu.
Comprenant que nous sommes à
présent mûrs à point pour découvrir son fabuleux trésor, la gardienne fait une
pause, nous regarde de manière énigmatique, un sourcil amusé relevé, comme pour
nous demander si nous voulions continuer... nous rions de nous et de la
situation... mais effectivement, bien sûr, nous voulons continuer !
…
Tout doucement, elle tire de sous
la table une autre corbeille : celle-ci contient d'énormes pierres
légèrement opaques, à la couleur du miel... il nous faut quelques instants pour
y croire, car il ne s'agit pas en effet de pierres...
… il y a là véritablement un
'petit trésor'...
Ce que la corbeille de la
gardienne contient, c'est de l'ambre... plusieurs morceaux d'ambre d'une taille
tout à fait respectable, dont celle-ci évolue entre celle d'une petite
savonnette et celle d'un gros œuf...
Lorsqu'on sait que l'ambre se
monnaye au minimum aux alentours de 10€ le gramme, ce 'petit trésor' prend
alors un sens tout nouveau, qui n'est plus celui seul de l'imaginaire.
Les morceaux d'ambre passent de
main en main. Leur surface est tiède, un peu molle et s'apparente à celle de la
gomme, en bien plus dur. Nous sommes invités à les croquer : la surface
est en effet très légèrement élastique. La couleur est comme celle du
miel : tantôt d'un jaune cristallin et clair, tantôt d'une couleur très...
'ambrée', tel un miel très concentré ou encore un caramel liquide.
Ces morceaux d'ambre seraient
ramenés sur le rivage de la Baltique. En s'y promenant, en regardant bien, il
est possible d'en trouver. Les morceaux d'une telle taille restent bien sûr
rares... mais les lendemains de tempête, surtout aux endroits où les débris et
les algues se sont accumulés, il n'est pas rare de découvrir des morceaux de la
taille d'un dé...
Mais la taille, c'est bien connu,
ne fait pas tout...
Clou du spectacle, une dernière
corbeille est sorti de sous la table. Et sa taille, effectivement, est bien plus
modeste...
… elle contient des petits éclats
d'ambre, marbrés de stries et de petites bulles.
En les observant de plus près,
quelque chose attire même notre regard... la gardienne, à qui notre curiosité
n'a pas échappé, nous remet une petite loupe.
Au creux de ces petites pépites,
des petites ailes.
Toutes les pépites de la dernière
corbeille contiennent des inclusions.
Nous restons plusieurs dizaines
de secondes, l’œil au dessus de la loupe, absorbés par la minuscule forme figée
depuis des millions d'années dans cette goutte fossilisée...
...absorbés par cet éclat
d'éternité à la couleur de miel.
Naturellement, l'image du poète
de Vilnius nous revient en tête... cet homme passionné de l'ambre et qui y a
dédié un musée.
L’ambre serait selon lui des
larmes divines, saupoudrées sur les mers, et qui, chaque matin, sont rejetées
sur les rives, comme un signe de compassion et de bienveillance à celui qui,
s’y promenant, les découvre, luisantes sur le rivage...
… abandonnant avec regret l'ambre
dans lequel, à travers la loupe, nous baignons notre âme, comment au fond ne
pas être troublé par cette image?
…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr