mardi 28 août 2012

Coeur(s) d'Europe

Dans la guerre des étoiles, il existe une petite planète où les humanoïdes ont deux cœurs. Cette planète s’appelle Céréa, le berceau d’un peuple utopiste, les céréens.

Si ces céréens ont deux cœurs, c’est pour alimenter une masse cérébrale hors du commun, surdéveloppée, qui leur octroie une capacité de réflexion, d’analyse et de résolution de problèmes largement supérieurs à la moyenne. Leur sens développé de la philosophie les a conduits à vivre en symbiose avec la nature et développer des aptitudes pacifiques exceptionnelles.

Si leur figure emblématique s’appelle Ki-Adi-Mundi, nous pourrions volontiers y associer notre vieux sorcier de Karlsruhe…


Dans l’Europe de l’Est, les créatures à deux cœurs sont autrement plus inquiétantes… ainsi, chez les slaves, les Strzygis ("Strzygas" en polonais) seraient des créatures nées avec 2 cœurs et 2 âmes (mais aussi 2 rangées de dents dont l’une présente dès la naissance), ‘mortes’ très jeunes, et qui, animées par une seule âme restante, sortiraient de leur tombe pour errer sur terre, parfois en prenant la forme de chouette… dans la même veine, en Roumanie, si la strigoaica s’apparente plutôt à une sorcière aux capacités vampiriques, l’idée d’être animée par 2 cœurs reste, de même que ce trait caractériserait encore la nelapsi ou l’upir des légendes slaves… tous ont un autre point commun : ils sont assoiffés du sang des vivants.



Lorsque nous arrivons vers Purnuškės, paraît-il ‘l’incontestable cœur de l’Europe’, une certaine perplexité nous gagne… à en croire l’incohérence des panneaux indicatifs, il semblerait bien que l’Europe ait également… 2 cœurs.



L’un d’eux serait effectivement situé à proximité de Purnuškės.

Un panneau officiel estampé de la bannière étoilée l’atteste, ainsi que le très sérieux Institut Géographique National français : les français ne sauraient se tromper tout de même… ce lieu est donc l’exact cœur géographique de l'Europe : du Spitzberg norvégien aux îles Canari, puis du sommet de l’Oural aux îles des Açores, les 4 pointes cardinales de l’Europe ont ainsi été prises en référence pour déterminer ce savant calcul. Le 1er mai 2004, le lieu a donc été solennellement inauguré, comme symbole de l’adhésion de la Lituanie à l’Union Européenne… ce n’est donc pas de la blague !


Le lieu est depuis marqué par une colonne couronnée d’étoiles, et une petite promenade invite même le visiteur du lieu à rejoindre les 27 mâts au-dessus desquels flottent les drapeaux européens qu’il s’amusera à essayer de reconnaître…

A deux pas de là, un charmant petit restaurant sait chatouiller les papilles des clients du ‘golf du centre de l’Europe’, paysage verdoyant, un parcours, 18 trous. Un lieu calme où se promènent, solitaires, des silhouettes éblouissantes.


Pourtant, une petite pyramide indiquerait elle aussi le cœur de l’Europe, qui serait cette fois-ci situé à environ neuf kilomètres plus au sud à vol d’oiseau (ou de chouette)… sculptée par Gintaras Karosas, elle trône depuis 1996, au cœur de l’Europos Parkas.


L’Europos Parkas est un musée en plein air, précisément fondé par un homme seul, Gintaras Karosas. Des œuvres d’art venant du monde entier y sont exposées, de manière permanente. On s’y promène, en forêt, se laissant absorber par la sérénité du lieu, la poésie des œuvres, les symboliques, parfois l’humour... et de la profondeur.

On y croise des groupes, des couples… et des écoliers, dont on entend les cris.
Des cris de bataille, de jeu. Des cris de cache-cache.




Les deux lieux sont fléchés sous la même appellation : 'coeur de l'Europe'... c'est du moins ce que l'on pense reconnaître en décryptant les indications lituaniennes, qui sont souvent d'une aide toute limitée pour le voyageur étranger.

Et, lorsque deux panneaux pointant des directions opposées indiquent le centre de l'Europe, on se demande bien sûr lequel de ces deux lieux est donc le vrai cœur de l’Europe...


Quel est en effet le 'vrai cœur de l'Europe' ?


Celui inauguré en grande pompe et qui invite à une petite partie de golf après un tour au restaurant, ou celui, né de la constance et de la volonté d’un homme passionné et qui invite quant à lui qui le souhaite à se promener en forêt, et découvrir des œuvres venues des quatre coins de la planète ?


Bien sûr, tout cela est anecdotique, mais, la tentation est tout de même grande alors de glisser vers la symbolique…


Car de même que l’incohérence des panneaux indicatifs (indiquant tantôt le green du golf, tantôt la promenade d’art contributif) nous a rapidement rendus perplexes, présumant qu’il n’y avait qu’un seul ‘cœur de l’Europe’, le projet européen tel que nous le découvrons, l’observons et le vivons au fil de ce voyage ne cesse également de nous rendre perplexes…
  

Si l’on juge un homme a ses actions, si l’on juge alors l’Europe, cette abstraction sans visage, par la somme des actes estampillés de la bannière étoilée, quel message, quelle valeur, quel projet semble alors se dessiner ?


Tendrait-il plutôt en direction du green pour quelques-uns ou de la promenade d’art pour tous?...


Pour l’observateur qui se bornerait à accumuler ces actes ‘vus de l’extérieur’, ces signes glanés depuis le passage de la frontière lituanienne, une première chose lui vient vraiment à l’esprit : les routes.

Du bitume qui s’étend, de ville en ville, et qui se tisse, comme un filet, à la surface de ce nouveau territoire.

Des kilomètres et des kilomètres de routes, avec leurs radars automatiques et leurs nouveaux panneaux publicitaires qui éclosent presque ‘naturellement’ en bordures de celles-ci, tout comme éclosent en ville les panoplies d’affiches, de kiosques et d’écrans, à proximité de complexes commerciaux qui jaillissent également de terre, tels celui de Vilnius, l’’Europa center’, au pied de ses toutes nouvelles tours de verre…

… il se souviendrait alors des infrastructures de Druskininkai, ses thermes et grands hôtels (l'Europa Royale Druskininkai hotel !). De sa station de ski couverte, en cours de construction non loin de là…


… et quel projet semblerait alors se dessiner ?

Pour qui ces dispendieuses constructions ?


Le cœur de l’Europe pencherait-il plutôt côté Cour ou côté jardin ?...



 Tracts visibles à Vilnius


Et si l’observateur, devant cette Europe à deux cœurs, devait alors choisir lequel du céréen ou de la Strzygis semble le mieux correspondre à ces actes, lequel choisirait-il ?...


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