‘Il paraît que j'suis pas normal.
Mais ça veut dire quoi "normal" ?’
Mais ça veut dire quoi "normal" ?’
Billy Ze Kick - L'Adjudant Gereux
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La vie est un jeu de Collin-Maillard.
On passe la plupart du temps les bras en l’air, aspirant à toucher des doigts la délicieuse substance du bonheur, en avançant plus ou moins au hasard, les yeux bandés, au milieu d’un brouhaha qui nous fait perdre toute orientation.
Surface rugueuse de murs, toiles de poussières, vide désespérant… ou mailles de nombreux filets. Nos doigts aveugles rencontrent bien des obstacles à tâter au hasard des chants de sirènes…
De fait, il est bon nombre de camarades de jeux dont il serait sain d’ignorer la voix, fût-elle doucereuse…
Parmi ceux-ci, le compagnon qui prétend connaître la ‘normalité’ serait même parmi ceux à fuir d’emblée.
Qu’est-ce que la ‘normalité’ ?
Qu’est-ce que ‘la norme’ ?
Un concept vague qui permettrait aux couturiers de fournir des costumes en tailles standards à 90% de la population et aux cordonniers, d’équiper les armées de souliers de tailles tout aussi standards qui permettront à 90% des troupes de marcher au pas.
On définit pour cela des moyennes, des écarts type, des quartiles, des médianes et tout un arsenal d’outils statistiques. Les outils ainsi définis, on fait passer à la moulinette un certain nombre de sujets pris au hasard selon des critères bien définis, et à la fin, on en sort une loi statistique, dont le champ d’application s’étendrait au monde entier.
Le sujet moyen mesurerait ainsi 171cm, chausserait du 41,7, pèserait 72kg le matin et aurait enfin 1,33 œil brun, 0,52 œil bleu et 0,15 œil vert.
Pas très pratique…
Malgré tout, on dépense la plupart du temps une énergie folle à se ‘situer’ par rapport à la ‘norme’: vous vous êtes d’ailleurs sûrement déjà demandé depuis l’avant dernière phrase si vous mesuriez plus que 171cm, ou, plus probablement, si vous pesiez plus que 72 kg. Peut-être les plus zélés auront-ils déjà mesuré leur IMC qui devrait être autour de 22 !...
Mais enfin, qu’est ce qui nous pousse autant à nous comparer sans cesse ?
Qu’a-t-elle donc de plus que nous, cette ‘norme’ ?...
Est-elle vraiment plus heureuse d’avoir 1,33 œil brun, 0,52 œil bleu et 0,15 œil vert ?... nous pourrions en douter, et pourtant.
Les magazines font chou gras de tous ces outils et nous servent sans cesse de nouveaux résultats d’études, d’enquête et de sondage. Taux d’audimat, panier de la ménagère, popularité d’une nouvelle star ou intentions de votes aux prochaines élections, nous sommes bombardés d’informations statistiques, de savants chiffres renvoyant à un grand ‘on’ vis-à-vis duquel nous devrions bâtir nos raisonnements, nos réflexions ou tout simplement comparer nos silhouettes…
Mais qui est au final ce grand ‘on’ modèle ?
La loi statistique dépend bien sûr des outils de la moulinette… mais tout autant des critères de choix des sujets sélectionnés. Du filet que l’on aura jeté sur le monde pour en capturer un échantillon de quelques sujets…
Le résultat est déjà contenu dans la méthode…
Dis-moi quelle loi tu souhaites et je te dirai quel filet prendre…
Ce grand ‘on’ ne serait en fait qu’un produit abstrait, sans substance, inhérent à la méthode savamment choisie.
Rien de plus, rien de moins.
Et pourtant, l’alchimie opère : devant cette opération de dénombrement aléatoire à l’objectivité apparente, nous nous inclinons : parmi les 7 milliards d’individus, cent, mille, vingt mille sujets ont été passés à la moulinette selon cette méthodologie très propre de bonhomme en blouse blanche. Et à la fin, une loi statistique tombe, toute chaude, et nous nous jetons dessus pour être au fait de la dernière révélation, s’y comparer et parfois même, changer de fusil d’épaule…
Qu’est-ce donc ce qui lui confère cette ‘autorité’ ?
Un ‘grand’ nombre et une blouse blanche, cela suffit-il à légitimer à ce point une loi, qu’il nous faudrait y répondre/obéir/appartenir/ressembler ?...
L’idée d’identification d’un réel standard vers lequel il faudrait tendre est en soi une absurdité. Et pourtant, si soucieux de ne pas être anormaux, nous nous y laissons tous berner à des degrés divers…
La fascination pour la norme a précisément quelque chose de fascinant…
Car aussi utile soit-elle pour le couturier ou le cordonnier, en quoi la loi statistique peut-elle bien nous être d’une aide quelconque lorsqu’il s’agit de quête de bonheur ? Y aurait-il un ‘bonheur standard’ ? Un ‘seuil’ du bonheur ? Un ‘bonheur médian’ ? Quel serait son écart type ?...
Cela n’a pas de sens… les lois statistiques reposent sur des hypothèses d’uniformité, d’homogénéité des sujets. Le bonheur est-il une caractéristique uniforme ?
Nous sentons bien qu’il y a là quelque chose qui ne tient pas…
De fait, à en croire les résultats du sondage effectué en début de voyage, il semblerait que nous ne rencontrions sur notre chemin que des personnes ‘anormales’ : à chaque nouvelle discussion concernant le bonheur, nous tombons sur une nouvelle représentation, une variante qui n’est même pas dans le top 10… seraient-ils donc tous ‘anormaux’ ?
Du monde merveilleux de l’imaginaire évoqué par Gerhard, du réconfort de la famille et du foyer si cher à Ywonne à la force de la passion de Robert ou encore de la Foi de Dorota, aucune de ces représentations n’intègre le top 10, et surtout : aucun number one sur notre route !...
Où se cachent donc tous ces pervers qui par leur témoignages ont contribué à porter à la première place leur lubricité ? Le monde que nous traversons serait-il peuplé d’anormaux ?
Où se cache donc ce ‘monsieur on’ standard ?...
…
A moins qu’il ne s’agisse pas de ‘choix’….
Nous passons bien sûr tous notre temps à nous situer.
C’est ‘normal’… enfin, c’est humain… enfin, vous voyez ce que je veux dire.
L’enfant en bas âge, déjà, passe son temps à observer et reproduire tous les faits et gestes des personnes qui l’entourent. Le pli se prend très tôt… un instinct grégaire qui nous pousse ainsi dès le début à reproduire plus ou moins inconsciemment tout ce qui nous entoure... et surtout ce qui nous séduit.
Les parents, lors de la jeune enfance, puis les copains de l’école, la maîtresse, et au fur et à mesure que le monde grandit, de nouveaux amis, d’autres personnes rencontrées auxquelles nous voudrions ressembler… et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’un jour, on veuille ressembler à ‘Monsieur on’.
Il serait très intéressant de savoir à partir de quel moment ce qui nous entoure nous semble si ‘fini/étroit’ que nous finissons par nous en remettre à cette figure du ‘grand on’ ?...
…
Peut-être, tout simplement, pourrions-nous imaginer ‘à partir du moment où la réalité ne suffit plus’ à séduire.
Un moment de l’aspiration où le monde ne suffit pas, et qu’une réalité augmentée (et les seins de Sophie Marceau !) à portée de main devient précisément si ‘séduisante’…
… une réalité prolongée sans puérile réticence qui irait jusqu’à toucher à l’essence même du fantasme…
… là où justement, le ‘bonheur’ se confondrait avec ‘plaisir’…
… et donc avec ce fameux number one…
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