lundi 26 septembre 2011

Agroturystyka Mazury


Le compteur indique ce matin 21°C.

Cela vous fait une belle jambe direz-vous !

Après ces quelques semaines de route, cela nous indique tout simplement que c'est un temps idéal pour rouler à vélo. En dessous de 19°, il fait trop frais pour le maillot court, au delà de 24°, il commence à faire chaud. 21°, c'est parfait. C'est exactement la température qu'il faut pour flâner. La température où le corps est relâché, et se fait oublier. Pas de crispation de froid. Pas de ventilation de chaleur... une température idéale pour se détendre et le corps, et, par extension, l'esprit...
...

 
Un léger voile brumeux est tendu au dessus de nos têtes.
Nous pouvons regarder le soleil les yeux dans les yeux sans avoir à le craindre. Un ciel de grasse mat' qui s'étendrait de toute son aise sans se décider tout à fait à se lever...

Les chevaux dans les prés sont immobiles. Debout, yeux fermés, ils semblent dormir. Seule leur queue continue de fouetter leur flanc pour chasser quelques taons obstinés. Les vaches ne sont guère plus actives, couchées les 4 pattes ramenées d'un même côté à la romaine.

Cette matinée a vraiment quelque chose d'une nonchalance bien confortable.

Dans les pâturages, des perles de rosée sont encore accrochées aux toiles que quelques araignées ont tendu entre les branches de chardons épars. En bordure des clôtures, des chemins d'exploitation. Deux traces parallèles de terre battue qui se suivent de chaque côté d'une bande d'herbe folles où se mêlent entre autres fleurs de trèfles et petites campanules. Un peu de brume, parfois, efface les contours et nourrit l'imagination. Le chemin se perd, endormi dans un gris lumineux, tout juste bordé de quelques piquets, formes légèrement penchées, sombres et indistinctes.

L'eau filtre de toute part, occupant le moindre creux de champ, la moindre cuvette de forêt, où les lentilles se multiplient coudes à coudes. Une surface végétale d'un vert tendre, camouflée dans le décor ambiant, et qui, malgré sa planéité parfaite, pourrait tromper un promeneur trop étourdi...

Les villages se sont dispersés.

Comme une conséquence directe, calvaires et petites chapelles se multiplient au bord de petites routes, à la croisées de sentiers ou au sommet de petites collines. De grandes croix de bois dominent les cimetières qui bordent les hameaux.

Les marques de dévotion seraient-elles inversement proportionnelles à la densité de population ?...




Nous n'avons encore croisé personne ce matin, sinon une grand-mère en imperméable, au milieu de nulle part, penchée en bord de route au dessus de son seau, le secouant comme pour s'assurer que ses gardons étaient encore en forme...

Nous sursautons tout à coup... nous avons tout juste eu le temps de réagir au son du klaxon qui venait de derrière nous que l'image de deux visages grimaçants apparaît dans notre champ de vision... ce sont des adolescents goguenards qui nous font signe à travers la vitre arrière d'une Volvo prise de soubresauts. Ses quatre occupants tressautent à l'unisson sur un rythme de basse et avec une ferveur bien au delà des capacités d'amortissement du pauvre véhicule. A peine avons-nous eu le temps de voir leurs pouces levés par les fenêtres que cette étrange apparition s'est éteinte au creux du prochain virage... au dessus de la chaussée déserte, quelques hélicoptères se sont détachés des branches de frênes, et tombent, en tourbillonnant.

Au dessus d'une côte nette et abrupte, Reszel.
Enfin un petit bourg.



Son ancienne église de brique, accolée au chateau du même matériau, se visite. A voir la taille du parking attenant, elle semble même attirer les foules. Suffisamment en tout cas pour qu'un petit cabanon de bois y soit installé pour écouler toute sortes de gadgets et souvenirs.

Effectivement, nous croisons quelques véhicules. Immatriculés de Cracovie, de Poznan...
Des citadins qui viennent respirer un peu de cet air du poumon de Pologne.

Détail amusant : quelques fermes proposent des chambres à leur intention. Amusant, car ceux-ci reviennent pendant la période de congés 'goûter' (ou re-goûter) à la vie d'ici, simple et traditionnelle, que les jeunes fuient en grande majorité pour goûter aux tribulations des villes.
J'imagine aisément la perplexité des anciens qui découvrent qu'une nouvelle population est prête à payer pour revenir adopter leur mode/rythme de vie quelques jours ou quelques semaines durant...

Ce nouveau tourisme porte un nom. L'agrotourisme. Quelques rares fermes portent ainsi un petit écriteau où l'on peut y lire 'agroturystyka'. Repas et gîte la nuit. Une idée qui nous paraît excellente pour nouer contact avec cette population qui jusqu'à présent s'est montrée, sans être désagréable, d'une parfaite indifférence.

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Évidemment, on n'y parle pas anglais. Pas allemand non plus. Et le français... encore moins. Nous devrions d'ailleurs nous épargner cette dernière question à présent.

On ne parle que le russe. Pas de quoi faciliter la communication bien sûr.
Mais cela ne nous empêche pas d'observer tout ce qui se passe.

Nous comprenons très vite que plusieurs couples vivent autour de la cour de la ferme. Tenir une exploitation d'agrotourisme est apparemment une activité pour laquelle plusieurs personnes se sont réunies.

Deux hommes sont occupés dans un jardin gigantesque. Un jardin gigantesque et très soignés, juste en bord du cimetière. Un homme plus âgé tond les pelouses autour des bâtiments principaux. Un autre retape les bordures de bois en bord de l'étang. Un petit ponton mène à une île minuscule sur laquelle un abri dissimule une belle table de bois, à l'ombre des clématites.



Un jeune homme vient d'arriver : il tire une barque, dans laquelle les pagaies sursautent au rythme de ses pas. Le lac est juste à côté. Il bredouille l'anglais. Il a quatorze ans. Pas beaucoup le temps de parler : il part nettoyer les sanitaires.

Un gamin d'à peine dix ans arrive au pas de courses. Il pousse à toute blinde une poussette. Le bébé qui s'y trouve, assis, pousse des petits cris de joie entrecoupés de sursauts à chaque petite bosse de pelouse.

Les deux hommes du jardin sont revenus. Ils s'attaquent à présent à la couverture d'un abri. Un abri d'environ quinze mètres de long. Trois murs qui abritent trois tables de pique-nique du vent. Un barbecue de pierre juste sur le côté.

Le jeune homme en a terminé avec seau et serpillière. Il s'attaque à présent à réparer un matelas gonflable. Le gamin repasse en courant à toute blinde, et le tout petit crie toujours. Un minuscule chien les suit en mêlant ses aboiements aux rires des gamins.

Une femme vient de sortir d'une des maisons. Un autre bébé dans les bras. Après l'avoir installé dans une chaise en bois, elle s'absente quelques instants avant de revenir avec une corbeille à linge. Elle étend des draps sur la terrasse. Leur odeur nous parvient.

Un tracteur arrive à l'instant. Les deux hommes descendent de leur toit et accueillent l'arrivant. Ils repartent ajuster une clôture. Le gamin laisse la poussette, crie quelques mots à la fenêtre et les accompagne. Une autre femme sort et récupère le bébé et le petit chien.

Le linge est pendu. Des tiges d'osiers sont posées sur la table. Un panier est confectionné.

Quelques instants de silence.


 
Les femmes nous regardent. Nous les regardons. Chacune vaque à ses occupations.
Nos quelques tentatives de discussion ont avorté à chaque fois. La langue bien sûr, mais pas seulement. A nos sourires répondent de petits gestes de tête cordiaux mais sans sourire.

Une parfaite indifférence.

Nous allons manger : ici, le gîte est offert, mais pas le repas. Nous avons aperçu dans le village une petite pancarte, un peu plus loin, avec fourchette et couteau croisés.

La grande salle est vide. De grandes tables de bois, quelques têtes de gibier empaillé et une grande cheminée. Le chef met la radio. Desireless. 'Voyage voyage'... hasard amusant. La carte est toujours aussi obscure. Le chef ne parle pas anglais. Mais avec un peu d'italien (pizza margarita), d'allemand (mit/ohne, dressing), de français (rosé de provence) et des rudiments de polonais (chleb, woda negazowana), nous arrivons à passer commande.

De retour à la ferme, le jour décroît, mais pas l'activité. Un homme est en train de changer un des roulements du tracteur. Un autre recloue le revêtement intérieur d'une caravane. Le gamin court avec le chien, une femme arrose quelques pieds de géranium, tandis qu'une autre cueille quelques fleurs du jardin. L'ancien en a terminé avec la pelouse et ajuste le pied d'un parasol.

Quelques filets de brume s'étirent à la surface du lac. La lune, pleine et rousse, apparaît à l'horizon. Quelques chauve-souris tournent autour des cimes de peupliers.

Les bougies de lanternes multicolores déposées sur les tombes du cimetière se détachent progressivement de la pénombre.



L'humidité saisit peu à peu les chairs. 
Femmes et enfant sont rentrées. Le panier est terminé.
Derniers coups de marteau sur l'acier.
Et puis le dernier homme est rentré à son tour.

Nouveau chant d'amour de crapauds, nouveau hululements...

... nouvelle nuit en Mazurie.

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