jeudi 29 septembre 2011

Mais qui fait quoi sur un tandem ?

Il y a un mois et demi de cela (déjà !), nous vous promettions dans cette rubrique de vous dire qui freine à bord du tandem… la question est si palpitante qu’on imagine parfaitement la fébrilité qui a dû vous hanter depuis tout ce temps, aussi le moment est-il venu de mettre fin à cette insupportable attente…


Une fois n’est pas coutume, la logique à bord du tandem est respectée, et le rôle déterminant du freinage a été attribué à la personne qui est aux premières loges.

Nous vous parlons de logique, précisons tout de même qu’il n’aurait pas été tout à fait idiot de les déporter sur le guidon de la personne derrière ! Soit, cela aurait nécessité un temps d’anticipation supplémentaire (et augmenté de manière sensible le risque de collision avec tout corps étranger se présentant en travers de trajectoire…), mais d’un point de vue technique, cette solution aurait eu un certain avantage non négligeable : celui d’homogénéiser les fiabilités de freinage…

Bon, bien sûr, vu que les ingénieurs du bureau d’études en avait un peu marre d’être traités d’ingénieurs, ils s’en sont remis au bon vieux sens commun, préférant sacrifier la technique sur l’autel de la sécurité… et le mal est fait : le freinage avant/arrière n’est pas homogène.

Là, c’est dit.

Pour les curieux qu’un peu de technique intéresserait (pour les autres, nous nous retrouvons au prochain paragraphe), rappelons qu’un tandem, c’est (un peu) plus long qu’un vélo normal. Et que donc, la distance du cintre (ou guidon pour les novices) avant à l’étrier de la roue arrière est forcément plus longue qu’un vélo normal. La différence de longueur de gaine de frein entre l’avant et l’arrière est donc encore plus accrue, et ce qui ne pose pas trop de problème sur un vélo normal, devient perceptible sur un tandem : la compression résiduelle du système, très faible pour le frein avant, devient palpable pour le frein arrière.
Concrètement, cela signifie qu’on freine ‘dur’ à l’avant (l’amplitude de freinage (l’angle de manette de frein) entre le moment de contact des plaquettes et le moment de blocage est très faible), et ‘mou’ à l’arrière : l’amplitude entre le moment de contact des plaquettes et le moment de blocage est considérablement augmentée, à cause de la compression résiduelle cumulée tout au long de la looooongue gaine arrière, et il arrive même un moment où la manette de frein arrive en butée, sans arriver au blocage, alors que les plaquettes sont encore utilisables…. Il faut donc soit purger le système arrière, soit y ajouter ou enlever un peu d’huile, ou encore changer les plaquettes arrière avant usure totale. Bref, un peu la chianlie.
Pour éviter ce déséquilibre de freinage avant/arrière, il suffirait simplement d’avoir les mêmes longueurs de gaines, et donc, CQFD, de ramener le freinage sur le guidon de la personne arrière ! J

Après cette brillante démonstration technique, nous retrouvons le groupe des lecteurs qui ont sauté le dernier paragraphe pour revenir à des considérations un peu moins pointues, puisque nous allons parler de klaxon à poire.

Le bon sens commun a donc été respecté jusqu’à présent : le freinage a été confié à la personne qui a été jugée la plus apte à réagir en cas d’incident. A qui allons-nous donc confier à présent le klaxon ?

Qui a dit ‘à la personne avant !’ ?

Bon d’accord, l’idée de le confier à la personne arrière semble illogique, voire peut-être même irresponsable, pour les mêmes raisons avancées pour le freinage... mais quoi, vous laisseriez l’homme tout nu ?

Réveillez donc le titan qui est en vous !

Après tout, le feu a bien été confié aux hommes, autant dire que nous ne sommes plus à une imprudence près ! Donc, respect de traditions oblige, quand quelqu’un est sans force, rapidité, courage, poil, ailes, coquille, etc., eh bien on fait un petit geste pour le consoler : on lui donne du feu… euh, on lui donne un klaxon.

(Notons bien sûr, pour éviter toute remontrance virulente, qu’il n’est pas nécessaire pour que cette explication soit valable que ce soit madame qui prenne à chaque fois la place arrière…).

Et pour ceux que cette explication ne convaincrait pas, disons plus prosaïquement qu’il n’y avait plus de place sur le guidon avant d’une part, et que de deux, il est préférable que la personne avant tienne la barre en cas de tempête et laisse l’équipage s’occuper de prévenir les troupes, mais c’est déjà un sémaphore... une métaphore.




J’ai entendu une petite question au fond de la salle, toute timide… pourrais-tu la répéter pour nous, s’il te plaît ?

‘Pourquoi qu’il y a un guidon à l’arrière ?’…


C’est vrai ça, la question n’est pas bête…

Vous connaissez tous sans doute ce film célèbre de Gérard Oury où un tandem d’humoristes tout aussi célèbres tente de rapatrier une Cadillac rutilante de Naples à Bordeaux… oui, c’est ça, le Youkounkoun caché dans le klaxon (vous comprenez à présent pourquoi nous l’avons confié à la personne derrière…..).
Il y a dans le film une scène de poursuite au cours de laquelle les deux compères s’échangent le volant en cours de route : le volant est retiré de la planche de bord, donné au passager de droite, qui le fixe devant lui et reprend la conduite comme si de rien n’était…

Eh bien malheureusement, il nous faut vous dire qu’un tandem n’est pas une Cadillac : il n’y a bien qu’un seul et unique guidon qui mène la barque, et il est situé à l’avant. Le passager à l’arrière (parce qu’il serait inconfortable de faire du monocycle pendant des heures) a toutefois droit à un cintre (ou guidon) pour y poser ses mains et appuyer l’avant de son corps.

Ce guidon est fixe, et est solidaire du tube de selle de la personne avant, ce qui suppose que la personne arrière ait une confiance ‘aveugle’ (au sens propre comme figuré) en la personne avant, et qu’elle renonce en cas d’incident à tenter quoique ce soit (on imagine très bien l’inconfort de la personne avant si la personne arrière décidait de tourner brusquement son tube de selle…….).


Enfin, bien sûr, quelqu’un demandera sûrement ‘qui passe les vitesses’ ?

C’est une fois de plus la personne à l’avant, qui ainsi peut gérer au mieux les passages de plateaux et pignons en fonction des allures qu’il contrôle déjà avec les manettes de frein à sa disposition.



‘Et qui pédale ?’


Allons, ne soyez pas trop gourmands : en voilà déjà beaucoup pour aujourd’hui, réponse donc prévue dans le prochain post technique, en essayant de ne pas attendre un mois et demi !

lundi 26 septembre 2011

Devinette n°6

Pour cette nouvelle devinette, nous restons douillettement installés au resto, puisque grâce à la réponse de la devinette n°5, nous voici tout disposés à passer à table, il serait dommage de ne pas goûter un petit morceau...

Ne reste donc plus qu'à choisir parmi ce qui s'offre à nous ce qui saurait ravir nos papilles...

D'après cette carte, quels desserts pourrions-nous commander ?


Réponse devinette n° 5 !!


Une fois de plus, la réalité devrait décevoir les esprits les plus imaginatifs... car derrière ces étranges signes ne se cache aucun repaire de secte secrète (ni non plus de repaire d'accros de consoles de jeux, ni ascenseur en route pour l'espace ou toute autre planète, ni toute autre organisation parallèle...), mais tout simplement un endroit qu'il est tout de même pratique de reconnaître, puisqu'il s'agit de toilettes !

Il s'agit effectivement d'une porte située au fond du couloir à gauche, portant la mention très explicite 'toilettes dames' (le rond, une dame est toute en rondeur bien évidemment....) ET 'hommes' (le triangle indiquant la saillance, les muscles, etc....)..... à moins que ce ne soit l'inverse ? ;-)

....

Après tout, si d'aventure vous vous aventuriez par là, il est très facile de vérifier...




Agroturystyka Mazury


Le compteur indique ce matin 21°C.

Cela vous fait une belle jambe direz-vous !

Après ces quelques semaines de route, cela nous indique tout simplement que c'est un temps idéal pour rouler à vélo. En dessous de 19°, il fait trop frais pour le maillot court, au delà de 24°, il commence à faire chaud. 21°, c'est parfait. C'est exactement la température qu'il faut pour flâner. La température où le corps est relâché, et se fait oublier. Pas de crispation de froid. Pas de ventilation de chaleur... une température idéale pour se détendre et le corps, et, par extension, l'esprit...
...

 
Un léger voile brumeux est tendu au dessus de nos têtes.
Nous pouvons regarder le soleil les yeux dans les yeux sans avoir à le craindre. Un ciel de grasse mat' qui s'étendrait de toute son aise sans se décider tout à fait à se lever...

Les chevaux dans les prés sont immobiles. Debout, yeux fermés, ils semblent dormir. Seule leur queue continue de fouetter leur flanc pour chasser quelques taons obstinés. Les vaches ne sont guère plus actives, couchées les 4 pattes ramenées d'un même côté à la romaine.

Cette matinée a vraiment quelque chose d'une nonchalance bien confortable.

Dans les pâturages, des perles de rosée sont encore accrochées aux toiles que quelques araignées ont tendu entre les branches de chardons épars. En bordure des clôtures, des chemins d'exploitation. Deux traces parallèles de terre battue qui se suivent de chaque côté d'une bande d'herbe folles où se mêlent entre autres fleurs de trèfles et petites campanules. Un peu de brume, parfois, efface les contours et nourrit l'imagination. Le chemin se perd, endormi dans un gris lumineux, tout juste bordé de quelques piquets, formes légèrement penchées, sombres et indistinctes.

L'eau filtre de toute part, occupant le moindre creux de champ, la moindre cuvette de forêt, où les lentilles se multiplient coudes à coudes. Une surface végétale d'un vert tendre, camouflée dans le décor ambiant, et qui, malgré sa planéité parfaite, pourrait tromper un promeneur trop étourdi...

Les villages se sont dispersés.

Comme une conséquence directe, calvaires et petites chapelles se multiplient au bord de petites routes, à la croisées de sentiers ou au sommet de petites collines. De grandes croix de bois dominent les cimetières qui bordent les hameaux.

Les marques de dévotion seraient-elles inversement proportionnelles à la densité de population ?...




Nous n'avons encore croisé personne ce matin, sinon une grand-mère en imperméable, au milieu de nulle part, penchée en bord de route au dessus de son seau, le secouant comme pour s'assurer que ses gardons étaient encore en forme...

Nous sursautons tout à coup... nous avons tout juste eu le temps de réagir au son du klaxon qui venait de derrière nous que l'image de deux visages grimaçants apparaît dans notre champ de vision... ce sont des adolescents goguenards qui nous font signe à travers la vitre arrière d'une Volvo prise de soubresauts. Ses quatre occupants tressautent à l'unisson sur un rythme de basse et avec une ferveur bien au delà des capacités d'amortissement du pauvre véhicule. A peine avons-nous eu le temps de voir leurs pouces levés par les fenêtres que cette étrange apparition s'est éteinte au creux du prochain virage... au dessus de la chaussée déserte, quelques hélicoptères se sont détachés des branches de frênes, et tombent, en tourbillonnant.

Au dessus d'une côte nette et abrupte, Reszel.
Enfin un petit bourg.



Son ancienne église de brique, accolée au chateau du même matériau, se visite. A voir la taille du parking attenant, elle semble même attirer les foules. Suffisamment en tout cas pour qu'un petit cabanon de bois y soit installé pour écouler toute sortes de gadgets et souvenirs.

Effectivement, nous croisons quelques véhicules. Immatriculés de Cracovie, de Poznan...
Des citadins qui viennent respirer un peu de cet air du poumon de Pologne.

Détail amusant : quelques fermes proposent des chambres à leur intention. Amusant, car ceux-ci reviennent pendant la période de congés 'goûter' (ou re-goûter) à la vie d'ici, simple et traditionnelle, que les jeunes fuient en grande majorité pour goûter aux tribulations des villes.
J'imagine aisément la perplexité des anciens qui découvrent qu'une nouvelle population est prête à payer pour revenir adopter leur mode/rythme de vie quelques jours ou quelques semaines durant...

Ce nouveau tourisme porte un nom. L'agrotourisme. Quelques rares fermes portent ainsi un petit écriteau où l'on peut y lire 'agroturystyka'. Repas et gîte la nuit. Une idée qui nous paraît excellente pour nouer contact avec cette population qui jusqu'à présent s'est montrée, sans être désagréable, d'une parfaite indifférence.

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Évidemment, on n'y parle pas anglais. Pas allemand non plus. Et le français... encore moins. Nous devrions d'ailleurs nous épargner cette dernière question à présent.

On ne parle que le russe. Pas de quoi faciliter la communication bien sûr.
Mais cela ne nous empêche pas d'observer tout ce qui se passe.

Nous comprenons très vite que plusieurs couples vivent autour de la cour de la ferme. Tenir une exploitation d'agrotourisme est apparemment une activité pour laquelle plusieurs personnes se sont réunies.

Deux hommes sont occupés dans un jardin gigantesque. Un jardin gigantesque et très soignés, juste en bord du cimetière. Un homme plus âgé tond les pelouses autour des bâtiments principaux. Un autre retape les bordures de bois en bord de l'étang. Un petit ponton mène à une île minuscule sur laquelle un abri dissimule une belle table de bois, à l'ombre des clématites.



Un jeune homme vient d'arriver : il tire une barque, dans laquelle les pagaies sursautent au rythme de ses pas. Le lac est juste à côté. Il bredouille l'anglais. Il a quatorze ans. Pas beaucoup le temps de parler : il part nettoyer les sanitaires.

Un gamin d'à peine dix ans arrive au pas de courses. Il pousse à toute blinde une poussette. Le bébé qui s'y trouve, assis, pousse des petits cris de joie entrecoupés de sursauts à chaque petite bosse de pelouse.

Les deux hommes du jardin sont revenus. Ils s'attaquent à présent à la couverture d'un abri. Un abri d'environ quinze mètres de long. Trois murs qui abritent trois tables de pique-nique du vent. Un barbecue de pierre juste sur le côté.

Le jeune homme en a terminé avec seau et serpillière. Il s'attaque à présent à réparer un matelas gonflable. Le gamin repasse en courant à toute blinde, et le tout petit crie toujours. Un minuscule chien les suit en mêlant ses aboiements aux rires des gamins.

Une femme vient de sortir d'une des maisons. Un autre bébé dans les bras. Après l'avoir installé dans une chaise en bois, elle s'absente quelques instants avant de revenir avec une corbeille à linge. Elle étend des draps sur la terrasse. Leur odeur nous parvient.

Un tracteur arrive à l'instant. Les deux hommes descendent de leur toit et accueillent l'arrivant. Ils repartent ajuster une clôture. Le gamin laisse la poussette, crie quelques mots à la fenêtre et les accompagne. Une autre femme sort et récupère le bébé et le petit chien.

Le linge est pendu. Des tiges d'osiers sont posées sur la table. Un panier est confectionné.

Quelques instants de silence.


 
Les femmes nous regardent. Nous les regardons. Chacune vaque à ses occupations.
Nos quelques tentatives de discussion ont avorté à chaque fois. La langue bien sûr, mais pas seulement. A nos sourires répondent de petits gestes de tête cordiaux mais sans sourire.

Une parfaite indifférence.

Nous allons manger : ici, le gîte est offert, mais pas le repas. Nous avons aperçu dans le village une petite pancarte, un peu plus loin, avec fourchette et couteau croisés.

La grande salle est vide. De grandes tables de bois, quelques têtes de gibier empaillé et une grande cheminée. Le chef met la radio. Desireless. 'Voyage voyage'... hasard amusant. La carte est toujours aussi obscure. Le chef ne parle pas anglais. Mais avec un peu d'italien (pizza margarita), d'allemand (mit/ohne, dressing), de français (rosé de provence) et des rudiments de polonais (chleb, woda negazowana), nous arrivons à passer commande.

De retour à la ferme, le jour décroît, mais pas l'activité. Un homme est en train de changer un des roulements du tracteur. Un autre recloue le revêtement intérieur d'une caravane. Le gamin court avec le chien, une femme arrose quelques pieds de géranium, tandis qu'une autre cueille quelques fleurs du jardin. L'ancien en a terminé avec la pelouse et ajuste le pied d'un parasol.

Quelques filets de brume s'étirent à la surface du lac. La lune, pleine et rousse, apparaît à l'horizon. Quelques chauve-souris tournent autour des cimes de peupliers.

Les bougies de lanternes multicolores déposées sur les tombes du cimetière se détachent progressivement de la pénombre.



L'humidité saisit peu à peu les chairs. 
Femmes et enfant sont rentrées. Le panier est terminé.
Derniers coups de marteau sur l'acier.
Et puis le dernier homme est rentré à son tour.

Nouveau chant d'amour de crapauds, nouveau hululements...

... nouvelle nuit en Mazurie.

lundi 19 septembre 2011

Une citation, une chanson et un clip

'On nous inflige
Des désirs qui nous affligent'
Foule sentimentale, Alain Souchon, 1993

Premier aveu à tous nos lecteurs

‘Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages’.
Jules Barbey d'Aurevilly

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Dans ce pré douillet de Mazurie, le regard dans les étoiles et la douce odeur de foin dans les narines, cette image du bonheur confondu avec le ‘cul’, ce big number one, nous paraît tout à fait improbable… ‘Irréelle’…

A en croire les résultats de ce fameux sondage, personne sur notre route ne serait fait du même bois que ceux qui y ont répondu…

Gerhard, serait-il anormal ?...
Nous avons pourtant tant eu l’impression de ‘vivre’ à ses côtés.

Ywonne, serait-elle anormale ?
Elle avait été si touchante dans son discours…

Robert, anormal ?
Nous avions eu tant de joie à partager sa passion, ne serait-ce qu’en en parlant ensemble…

Dorota, anormale ?
Elle nous a laissé tellement remués par l’exposition de sa Foi…


Pourtant, au contact de ces personnes, ainsi que d’autres que nous n’avons pas présentées, nous aurions à chaque fois pu jurer que nous avions senti comme une sorte de … ‘bonheur’.

Alors quoi… qui écouter ??!

Nous voulions ressembler à la norme pour approcher du bonheur, et voilà que nous le ressentons directement au contact de gens ‘anormaux’ !...

C’est décidément à n’y plus rien comprendre…

A ce jeu de colin-maillard, vers qui faut-il donc se tourner ??

Vers une réalité anormale (mais bien réelle) ou vers une entité ‘normale’… et ‘fantasmée’ ?

Oups …

‘Fantasmée’…

Hé oui…le mot est lâché…

… nous y voilà… il va falloir avouer.

Enfin…


A ce stade du voyage, au cœur même de la Mazurie, pays de quiétude, poumon de la Pologne même, il est grand temps de laver notre conscience et de vous faire un des lourds aveux que nous avons à vous faire…

Oui : nous vous avons menti.
Et nous sentons bien que le mensonge n’est plus tenable…

Devant l’exercice de Foi de Dorota, comment la thèse du ‘cul, big number one du bonheur’ pourrait-elle encore tenir la route une seconde ?...

Vous le sentez bien…


D’ailleurs, depuis le début, vous l’aviez senti, vous disant même parfois que vous aussi, comme Gerhard, comme Ywonne et compagnie, vous n’étiez pas normal : vous sentiez que le résultat de sondage ne tenait pas la route et que pour vous, le bonheur devait être quelque chose d’autre !

Peut-être en y réfléchissant avez-vous-même réussi à mettre le doigt sur quelques instants de bonheur de votre vie et identifié ce qui l’aura provoqué… et peut-être une fois de plus vous serez-vous dit, inquiet :

‘je suis anormal !’…


Alors il est grand temps de vous faire ce premier aveu :

ce sondage est bidon………


Et oui. Aucune réalité statistique n’existe derrière cette apparemment savante étude !

Et malgré tout, nous sommes sûrs que vous n’avez pas pu vous empêcher de vous situer par rapport à ces résultats, autrement dit, que vous vous êtes laissés berner par quelque chose qui n’a aucune valeur, aucun fondement, ni scientifique, ni moral, ni statistique…….. et cela sans que personne ne vous y force…

… épatant non ?

Peut-être avez-vous même prêté crédit (une forme de confiance aveugle) à quelque chose qui repose sur du vent, tournant même un brin (ou davantage) de suspicion sur vous-même, et vos sentiments…

Et pourtant… que vous auront-ils dit ces sentiments ?

A la lecture de témoignages de Gerhard et autres compagnons, ne vous est-il pas arrivé un instant de sentir ce petit quelque chose d’agréable qui pourrait même être qualifié d’un peu de ‘bonheur’ et qui aurait une autre saveur que le ‘plaisir’?



Aux mystères d’Eleusis, il suffisait simplement de voir…….

Lorsqu’à Collin Maillard, la vue n’est plus, l’erreur bien sûr est de s’en remettre à ses oreilles pour mieux ‘écouter’ ce que l’on nous conseille de toute part....

Car sans possibilité de savoir d’où nous viennent ces conseils, peut-être est-il au final encore préférable de suivre un guide qui serait de bien meilleur conseil… celui dont, précisément, vous vous êtes méfiés lorsque le sondage est tombé…

Un guide fidèle que vous entendriez à travers le brouhaha : vos propres sentiments !

dimanche 18 septembre 2011

Un monde d'anormaux

‘Il paraît que j'suis pas normal.
Mais ça veut dire quoi "normal" ?’

Billy Ze Kick - L'Adjudant Gereux

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La vie est un jeu de Collin-Maillard.

On passe la plupart du temps les bras en l’air, aspirant à toucher des doigts la délicieuse substance du bonheur, en avançant plus ou moins au hasard, les yeux bandés, au milieu d’un brouhaha qui nous fait perdre toute orientation.

Surface rugueuse de murs, toiles de poussières, vide désespérant… ou mailles de nombreux filets. Nos doigts aveugles rencontrent bien des obstacles à tâter au hasard des chants de sirènes…

De fait, il est bon nombre de camarades de jeux dont il serait sain d’ignorer la voix, fût-elle doucereuse…

Parmi ceux-ci, le compagnon qui prétend connaître la ‘normalité’ serait même parmi ceux à fuir d’emblée.


Qu’est-ce que la ‘normalité’ ?
Qu’est-ce que ‘la norme’ ?


Un concept vague qui permettrait aux couturiers de fournir des costumes en tailles standards à 90% de la population et aux cordonniers, d’équiper les armées de souliers de tailles tout aussi standards qui permettront à 90% des troupes de marcher au pas.

On définit pour cela des moyennes, des écarts type, des quartiles, des médianes et tout un arsenal d’outils statistiques. Les outils ainsi définis, on fait passer à la moulinette un certain nombre de sujets pris au hasard selon des critères bien définis, et à la fin, on en sort une loi statistique, dont le champ d’application s’étendrait au monde entier.

Le sujet moyen mesurerait ainsi 171cm, chausserait du 41,7, pèserait 72kg le matin et aurait enfin 1,33 œil brun, 0,52 œil bleu et 0,15 œil vert.

Pas très pratique…

Malgré tout, on dépense la plupart du temps une énergie folle à se ‘situer’ par rapport à la ‘norme’: vous vous êtes d’ailleurs sûrement déjà demandé depuis l’avant dernière phrase si vous mesuriez plus que 171cm, ou, plus probablement, si vous pesiez plus que 72 kg. Peut-être les plus zélés auront-ils déjà mesuré leur IMC qui devrait être autour de 22 !...


Mais enfin, qu’est ce qui nous pousse autant à nous comparer sans cesse ?
Qu’a-t-elle donc de plus que nous, cette ‘norme’ ?...

Est-elle vraiment plus heureuse d’avoir 1,33 œil brun, 0,52 œil bleu et 0,15 œil vert ?... nous pourrions en douter, et pourtant.


Les magazines font chou gras de tous ces outils et nous servent sans cesse de nouveaux résultats d’études, d’enquête et de sondage. Taux d’audimat, panier de la ménagère, popularité d’une nouvelle star ou intentions de votes aux prochaines élections, nous sommes bombardés d’informations statistiques, de savants chiffres renvoyant à un grand ‘on’ vis-à-vis duquel nous devrions bâtir nos raisonnements, nos réflexions ou tout simplement comparer nos silhouettes…


Mais qui est au final ce grand ‘on’ modèle ?


La loi statistique dépend bien sûr des outils de la moulinette… mais tout autant des critères de choix des sujets sélectionnés. Du filet que l’on aura jeté sur le monde pour en capturer un échantillon de quelques sujets…

Le résultat est déjà contenu dans la méthode…
Dis-moi quelle loi tu souhaites et je te dirai quel filet prendre…

Ce grand ‘on’ ne serait en fait qu’un produit abstrait, sans substance, inhérent à la méthode savamment choisie.
Rien de plus, rien de moins.

Et pourtant, l’alchimie opère : devant cette opération de dénombrement aléatoire à l’objectivité apparente, nous nous inclinons : parmi les 7 milliards d’individus, cent, mille, vingt mille sujets ont été passés à la moulinette selon cette méthodologie très propre de bonhomme en blouse blanche. Et à la fin, une loi statistique tombe, toute chaude, et nous nous jetons dessus pour être au fait de la dernière révélation, s’y comparer et parfois même, changer de fusil d’épaule…

Qu’est-ce donc ce qui lui confère cette ‘autorité’ ?

Un ‘grand’ nombre et une blouse blanche, cela suffit-il à légitimer à ce point une loi, qu’il nous faudrait y répondre/obéir/appartenir/ressembler ?...

L’idée d’identification d’un réel standard vers lequel il faudrait tendre est en soi une absurdité. Et pourtant, si soucieux de ne pas être anormaux, nous nous y laissons tous berner à des degrés divers…


La fascination pour la norme a précisément quelque chose de fascinant…


Car aussi utile soit-elle pour le couturier ou le cordonnier, en quoi la loi statistique peut-elle bien nous être d’une aide quelconque lorsqu’il s’agit de quête de bonheur ? Y aurait-il un ‘bonheur standard’ ? Un ‘seuil’ du bonheur ? Un ‘bonheur médian’ ? Quel serait son écart type ?...

Cela n’a pas de sens… les lois statistiques reposent sur des hypothèses d’uniformité, d’homogénéité des sujets. Le bonheur est-il une caractéristique uniforme ?

Nous sentons bien qu’il y a là quelque chose qui ne tient pas…

De fait, à en croire les résultats du sondage effectué en début de voyage, il semblerait que nous ne rencontrions sur notre chemin que des personnes ‘anormales’ : à chaque nouvelle discussion concernant le bonheur, nous tombons sur une nouvelle représentation, une variante qui n’est même pas dans le top 10… seraient-ils donc tous ‘anormaux’ ?

Du monde merveilleux de l’imaginaire évoqué par Gerhard, du réconfort de la famille et du foyer si cher à Ywonne à la force de la passion de Robert ou encore de la Foi de Dorota, aucune de ces représentations n’intègre le top 10, et surtout : aucun number one sur notre route !...

Où se cachent donc tous ces pervers qui par leur témoignages ont contribué à porter à la première place leur lubricité ? Le monde que nous traversons serait-il peuplé d’anormaux ?

Où se cache donc ce ‘monsieur on’ standard ?...


A moins qu’il ne s’agisse pas de ‘choix’….

Nous passons bien sûr tous notre temps à nous situer.
C’est ‘normal’… enfin, c’est humain… enfin, vous voyez ce que je veux dire.

L’enfant en bas âge, déjà, passe son temps à observer et reproduire tous les faits et gestes des personnes qui l’entourent. Le pli se prend très tôt… un instinct grégaire qui nous pousse ainsi dès le début à reproduire plus ou moins inconsciemment tout ce qui nous entoure... et surtout ce qui nous séduit.

Les parents, lors de la jeune enfance, puis les copains de l’école, la maîtresse, et au fur et à mesure que le monde grandit, de nouveaux amis, d’autres personnes rencontrées auxquelles nous voudrions ressembler… et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’un jour, on veuille ressembler à ‘Monsieur on’.

Il serait très intéressant de savoir à partir de quel moment ce qui nous entoure nous semble si ‘fini/étroit’ que nous finissons par nous en remettre à cette figure du ‘grand on’ ?...


Peut-être, tout simplement, pourrions-nous imaginer ‘à partir du moment où la réalité ne suffit plus’ à séduire.

Un moment de l’aspiration où le monde ne suffit pas, et qu’une réalité augmentée (et les seins de Sophie Marceau !) à portée de main devient précisément si ‘séduisante’…

… une réalité prolongée sans puérile réticence qui irait jusqu’à toucher à l’essence même du fantasme…

… là où justement, le ‘bonheur’ se confondrait avec ‘plaisir’…

… et donc avec ce fameux number one…

mardi 13 septembre 2011

La Mazurie, poumon de la Pologne


La Mazurie est réputée pour être le poumon de la Pologne. Région frontalière avec la Biélorussie, la Lituanie, mais aussi la Russie (enclave de Kaliningrad), ses grands espaces invitent à l'évasion, à s'oublier à travers ses généreuses campagnes et ses amples forêts sauvages au sein desquelles de précieuses espèces animales chez nous disparues coulent encore de beaux jours.

En Mazurie, pas de 'grande ville' (sa capitale (Olstyn), que nous quittons, ne compte pas plus de 160 000 habitants), pas de tumulte : juste une kyrielle de petits rassemblements de maisons et de fermes éparses dispersées à travers le territoire... et la quiétude.



Cette étape est de loin la plus agréable que nous ayons faite depuis le début du voyage.

Peut-être tout d'abord est-ce dû au relief : les petites routes au bon vieux bitume lissé par les années flânent tranquillement de droite de gauche, tantôt enfilant le creux de petites collines, tantôt enjambant l'une d'elle par sa cime. Succession de petits virages, de petits coups de cul et de petites descentes en précipitation, la Mazurie est un véritable terrain de jeu pour l'amoureux du deux roues...



Peut-être encore parce que la Mazurie est pleine de parfums. Le parfum du troupeau que l'on ramène à l'étable, mené par un bâton le long de la route. Le parfum des foins en train d'être fauchés, quand le soleil de l'après midi s'adoucit. On reconnaît d'ailleurs à cette odeur si le pré est plus ou moins sec, s'il est mêlé de reines des prés ou d'orchis qui sentent le chocolat... les tilleuls qui bordent encore et toujours la voie embaument de manière éhontée cet air que l'on pourrait même mâcher... au travers des bois, ce sont les essences que l'on respire. Les sempiternelles forêts de pins que nous traversions depuis des centaines de kilomètres ont laissé ici place aux seigneurs des feuillus, charmes, hêtres et chênes au pied desquels bon nombre de variétés de champignons ont trouvé à s'épanouir.

Et puis sûrement parce que la quiétude est communicative...

De petits villages en minuscules hameaux, c'est tout une vie 'dehors' qui défile devant nous... de jeunes filles qui rient aux éclats la tête en bas et la culotte à l'air en jouant à chat perché. Des cris de jeunes garçons qui courent dans les jambes des ados pour leur chiper le ballon, faisant pour cela de grands pas pour sauter par dessus les trop hautes touffes d'herbe. Des papotages de bonnes femmes alignées de front sur la route derrière leurs poussettes, s'écartant (très mollement) pour laisser passer de rares voitures ou de drôles d'embarcation... des discussions entre mères et grands-mères tantôt penchée au dessus d'une table de terrasse pour s'échanger des modèles de crochet, tantôt accroupies au dessus de jeunes pousses de potager en échangeant probablement de bons vieux trucs d'anciens... les hommes attroupées au cœur des hameaux boivent ensemble sur une table improvisée à côté de la fontaine. Ils rient, mariant les éclats de leurs grosses voix.

Les derniers d'entre eux arrivent par tracteur : le fils (une quinzaine d'année environ) est au volant. L'ancêtre, tout ratatiné, béret sur le crâne et veste épaisse, est bien calé derrière le siège. Et le père se tient sur le marche pied, à cheval sur le bord de la cabine, une main en l'air pour faire signe qu'ils arrivent à leur tour à cette joyeuse table. Derrière eux, la remorque sème ses brins de foins qui s'échappent de petites bottes carrées.



Des hordes de cigognes picorent à travers les champs fraîchement fauchés. Chaque petit hameau (ou presque) a son nid, perché tout au dessus d'un vieux poteau électrique, d'un vieux tronc squelettique ou du faîte d'anciennes bâtisses. Des petites têtes en dépassent, attendant la béquée. Les petits commencent à perdre le gris de leur bec, qui vire progressivement vers un orangé bien net.

Au fur et à mesure que les ombres s'allongent, les chants de tout le royaume des piafs s'ajoutent peu à peu les uns aux autres jusque peupler l'espace d'un joyeux tintamarre auquel se mêle l'ode d'amour de quelques batraciens... Quelques pêcheurs rejoignent d'ailleurs les villages dans la pénombre naissante, marchant à pas précautionneux au milieu de la chaussée, canne dans une main, seau dans l'autre, qu'ils alternent régulièrement.

Dernier coup de sabot de cheval sur le bitume, dernière bribe de discussion d'adolescentes assises sur un rocher, et puis ça y est : la vie 'humaine' s'est peu à peu éteinte. Nous trouvons un champ odorant et moelleux à souhait qui ne semble qu'attendre que nous y posions notre tente et notre réchaud.

De manière surprenante, tout ce gentil décor défile à nos côtés sans que nous y suscitions la moindre réaction. Le sympathomètre semble inerte. Pas le moindre sursaut de surprise, pas plus d'exclamation d'enthousiasme, ni non plus de grimace ou de regard menaçant... comme si nous avions traversé une scène où chacun connaît le rôle qui lui est imparti, et s'en trouverait si satisfait que tout événement saugrenu ne pourrait perturber la marche du monde.

De fait, nous avons traversé toute cette petite vie dans une parfaite indifférence. Surprenante. Mais non désagréable.

Une vie de nonchalance. Une vie qui se suffirait à elle même.

lundi 12 septembre 2011

Ultime séance de rattrapage


Nous venons de quitter Dorota, et nous pensons toujours à elle... sa volubilité nous avait amusés au début du voyage, nous la regardions avec un sourire de politesse, à l'écoute d'une gentille bavarde peut-être un peu superficielle. Mais au final, cette fille nous a vraiment épatés. Derrière une vraie spontanéité, une générosité à fleur de peau, nous pouvions sentir toute la force du personnage, mêlée de sensibilité... un touchant mélange qui nous laisse encore un peu groggy.

Et plus que tout, ce sont ses mots qui nous résonnent en tête...

'Tant que j'aurai 2 yeux et 2 mains, je sais que je vivrai'...

Force de la Foi, ou inconscience...

En sortant de la gare, le voyageur arrivant à Olsztyn ne peut manquer les 2 temples de l'autre côté de la route, distants d'une centaine de mètres à peine.

La religion... simple opium du peuple ou super anabolisant ?

Force est de constater qu'une fois de plus, en discutant bonheur avec les autochtones, le big number one n'a même pas été évoqué... mais qu'est ce qu'on leur apprend donc ?!

Même la visite de Gdansk n'a pas permis de débusquer la moindre allusion déplacée, la moindre évocation coquine, de près ou de loin...

Les maillots de bain d'Auchan étaient même désespérément vides sur les affiches publicitaires, aucune nymphette innocemment cambrée, aucun regard aguicheur, rien, de rien de rien...



... comme si le pays tout entier avait été plongé dans une chasteté morale à toute épreuve.

Dans les quelques cent mètres qui séparent les deux temples de recueillement spirituel, quelque esprit malin a eu l'idée d'y installer une station service, ainsi qu'un des innombrables exemplaires de service de distribution rapide flanqué du Big Mac, à l'adresse de tous les adorateurs du grand M.

Le symbole de cette mission planétaire a même été dressé au dessus d'une colonne qui domine les clochers des 2 temples...



Peut-être après tout faut-il effectivement arrêter avec les demi mesures : le Big Mac a parlé, n'ayons plus peur, après tout, allons-y pour une thérapie de choc : si la Pologne souhaite adopter le occidental way of life, il faudra bien qu'elle accepte de ne pas refouler ses désirs.

Pour son bonheur, voici donc une séance de rattrapage spéciale Big One que même nos télévisions ont refusé de transmettre... heureusement, le Net veille à ce qu'aucune censure ne nous en prive !

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. La pub que vous ne verrez pas_Mettant en scène une Serena Williams ultra sexy, ce spot pour un jeu de tennis a été censuré par l’éditeur. Votre avis (voir video) (zigonet.com, 23/03/2011)

. Une pub au parfum de scandale_ La nouvelle pub d’Yves Saint Laurent avec Mélanie Thierry a été interdite en Grande-Bretagne. Trop osée (voir video) (zigonet.fr, 03/02/2011)

. Des pubs de plus en plus hot_Quand elles embauchent Scarlett Johansson ou Eva Mendes, les marques n’ont pas froid aux yeux. Faire vendre (puretrend.com, 24/03/2011)

. Une vidéo embarrassante pour les labos_Une fausse pub SM diffusée au sein du labo Lilly écorne un peu plus l’image de l’industrie pharmaceutique. (voir la video) (liberation.fr, 03/02/2011)

. Une publicité hallucinante_Avec des idées et du talent, même un processeur informatique peut devenir sexy (voir video) (tech’you.fr, 13/01/2011).

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lundi 5 septembre 2011

Le bonheur selon Dorota

Dorota est l’image même de la volubilité, et d’une certaine pétillance.


A peine avons-nous débarqué avec nos tenues de cyclistes dans le compartiment qu’elle occupait, qu’elle s’adresse à nous, directement dans la langue de Shakespeare : ‘Hey, where are you from ?’

Nous lui faisons remarquer que nous ne sommes pas habitués à être accostés de la manière, directement en anglais…

‘- C’est parce que je vis en Angleterre !
- Mais alors, que fais-tu ici ? Tu es en vacances ?
- Je retourne chez moi… enfin, chez ma mère. Je reviens régulièrement, quelques semaines tous les 5 ou 6 mois. Cela me ressource. Et vous, que faites-vous ici ?
- Ben… ça ne se voit peut-être pas, mais on fait du vélo…
- Et vous allez où ?
- A Saint Petersbourg.
- A vélo ??
- Ben oui… enfin, pour la plus grande partie.
- Wouha… vous êtes des héros ! Vous devez être vraiment en forme !! Et vous allez où, là, avec le train ?
- En Mazurie. Nous devons bientôt être en Lituanie, et le temps nous manque. On fait donc un saut jusqu’à Olsztyn.
- Olsztyn, mais c’est là que je descends ! Vous verrez, la Mazurie est le poumon de la Pologne. C’est calme, c’est vert, il y a plein de lacs. L’air même est différent, à chaque fois que j’y reviens, je le sens, l’air est plus pur, plus sain.
- Mais tu habites où ?
- Au centre de Londres.
- Oui, c’est sûr que comparé à Londres… mais si la vie est si douce chez toi, que fais-tu là-bas ?
- Ben, je travaille évidemment ! Là où j’ai grandi, il n’y a rien à faire… et presque tous les jeunes finissent par partir ! C’est normal. Vers 20/25 ans, beaucoup partent en Angleterre ou en Irlande. Pour le travail, mais aussi pour apprendre l’anglais. C’est très important !
- Et après, ils ne reviennent pas ?
- Non. La plupart finissent par rencontrer une âme sœur et rester sur place.
- Et toi, tu n’imagines pas revenir un jour ?
- Ah non !... enfin, pour l’instant en tout cas, vraiment pas.
- Et pourquoi donc ?
- La vie est trop triste ici. C’est vrai, c’est bien pour se reposer. J’aime venir me ressourcer, voir ma mère… mais à Londres, il y a les cafés, les sorties. Et puis tout de même, la classe moyenne vit mieux.
- C'est-à-dire ?
- Ici, la moyenne des gens n’a pas grand-chose pour vivre… je ne demande pas de vivre dans une voiture en or et d’avoir des dollars, mais il faut au moins de quoi pouvoir sortir, s’offrir des vêtements, pouvoir partir en vacances de temps en temps… en Angleterre, la classe moyenne peut se l’offrir. En Pologne, cela reste un luxe. Et à chaque fois que je reviens, je me dis que cela ne s’arrangera pas. Ceux qui ont décidé de rester n’arrêtent pas de se plaindre. Tous les 6 mois, quand je reviens, je n’en reviens pas de voir à quel point les prix augmentent... Les charges, le gaz, l’électricité sont même devenus plus chers ici, tu te rends compte ?
- D’autres personnes que nous avons rencontrées nous l’ont effectivement déjà dit. Certaines personnes vers la frontière allemande préfèrent même faire leurs courses en Allemagne pour les produits de base… mais nous avons aussi rencontré une femme partie travailler en Allemagne, qui gagnait bien sa vie et qui est finalement revenue quand elle a eu un enfant. Le mal du pays, et de la famille…
- La nature me manque, c’est vrai…. Et le soleil… il pleut toujours à Londres ! J’ai plus de soleil en quelques semaines ici que toute l’année à Londres… vous verrez, c’est vraiment une belle région ici… et les gens vivent plus vieux. C’est un tout, manger les légumes du jardin, manger ses propres confitures… vivre au rythme des saisons… c’est vrai que tout ça ça me manque… Et c’est vrai aussi que ce qui est dur quand je suis à Londres, c’est de vivre loin de ma mère. Je ne dis pas que j’ai toujours besoin d’elle, mais on parle beaucoup ensemble… parfois des heures ! Mais au téléphone, c’est sûr, c’est pas pareil… J’aimerais la faire venir en Angleterre… surtout pour qu’elle puisse avoir de meilleurs soins quand elle sera trop vieille… mais ce n’est pas si facile.
- Et tu n’as pas d’enfant ?
- Non… pas encore. Mais j’en aurai, c’est sûr ! On en parle souvent avec mon copain… mais pour l’instant, c’est encore trop tôt…… bien sûr, j’arrive vers 30 ans, et on se dit qu’il va falloir y penser, mais le temps passe si vite aussi…
- Et que fais-tu à Londres ?
- Je travaille justement dans les hôpitaux. Je vois bien la différence… Je fais le lien entre les infirmières ou les médecins et les patients polonais qui ne parlent pas suffisamment bien l’anglais. J’avais commencé par être fille au pair, il y a 5 ans, puis un petit boulot dans un café, et puis petit à petit, j’ai connu des gens, et j’ai fait mon chemin… quand on veut quelque chose, on finit toujours par y arriver. Mais il faut s’en donner les moyens. Je m’agace parfois quand je vois des gens qui sont à Londres depuis 4 ou 5 ans et qui ne parlent toujours pas la langue…
- Si ce n’est pas pour apprendre la langue, pourquoi partir ?
- Il vaut mieux partir que rester… le mieux bien sûr, c’est d’apprendre la langue, mais ça vaut toujours le coup de partir, même pour travailler. Disons qu’il est plus facile de trouver du travail à l’étranger que chez nous quand on est jeune. Si tu as un peu d’ambition, tu peux toujours te débrouiller. Beaucoup vont en Angleterre ou en Allemagne, d’autres préfèrent l’Irlande ou encore la Suède.
- Et pas la France ?
- Bof… je suis déjà allée en France en vacances. C’est joli, les gens sont gentils, c’est vrai… mais disons que pour apprendre l’anglais, ça ne sert pas à grand-chose… et la langue est difficile.
- Et en Allemagne, c’est pareil !
- L’Allemagne, c’est à côté… et puis on parle aussi plus facilement l’allemand en Pologne. Avec l’histoire, beaucoup de personnes âgées savent le parler… et cela nous semble plus facile.
- Et la Suède ? Ce n’est pas plus à côté que la France et le suédois n’est certainement pas facile…
- Oui, mais ils parlent presque tous anglais !
- … là, tu marques un point… et pourquoi est-il donc si important d’apprendre l’anglais ?
- Parce que c’est la clef pour s’ouvrir au monde pardi !
- Tu ne l’as pas appris à l’école ?
- Non, j’ai appris le russe… comme presque tout le monde. J’ai même continué à l’apprendre pendant mes études… je pense que je me débrouillerais encore bien aujourd’hui… il faut savoir que l’anglais à l’école n’a pas été mis en place il y a si longtemps…
- Mais quel âge as-tu si je peux me permettre ?
- J’ai 29 ans !
- Tu as donc été jeune pionnier ?
- Oui… mais c’est très loin tout ça…
- C'est-à-dire que tu ne t’en souviens plus ?
- C'est-à-dire que c’est très loin. C’est un peu comme c’était une histoire qui n’avait jamais eu lieu. Je me souviens des images, des queues devant les magasins… ma mère nous disait de faire la queue dès le matin pour avoir une place, sinon on n’avait plus rien quand on arrivait… on faisait les courses avec des bons… c’est à peu près tout ce dont je me souviens. Mon frère s’en souvient bien mieux, il est plus âgé… mais pour moi, c’est très loin. Tout est devenu tellement différent depuis, que j’ai même parfois l’impression que ça n’a jamais existé. Aujourd’hui, tu achètes ce que tu veux (si tu as de l’argent bien sûr), tu as des fruits et des légumes partout, et du monde entier, qui sont énormes en plus…
- Et tu pourrais dire si c’est mieux maintenant ?
- Pour les fruits, sûr que non ! Ils sont bourrés de produits, d’insecticides et de toutes sortes de cochonneries :-)…. Mais je sais ce que tu veux dire. En fait, ce qui est mieux, c’est simplement qu’on peut partir !
- C’est drôlement pessimiste comme réponse.
- Boh… je me souviens quand Wałęsa a été élu (tu as déjà dû en entendre parler, il est célèbre, il a même eu le prix Nobel !). Mes parents étaient très excités, tout le monde a cru que la vie serait belle et pour tout le monde! La fin du communisme, c’était pas rien ! Et puis il y a eu aussi l’entrée dans l’Europe… ça a apporté pas mal d’argent dans les villes… mais pas pour tout le monde et pas dans les campagnes. C’est vrai, beaucoup de choses ont changé, mais finalement, je ne sais pas si les gens dans l’ensemble sont vraiment plus heureux maintenant. Il y en a qui sont très heureux, peut-être plus qu’avant, et il y en a qui sont très malheureux… comme partout je pense.
- Justement, puisque tu parles de bonheur, après tout, qu’est-ce que c’est que le bonheur ? Tu as déjà parlé d’un niveau acceptable de richesse, pouvoir sortir, changer de vêtements, partir en vacances… le bonheur, c’est être riche ?
- Non… comme je te l’ai dit, je ne demande pas à rouler dans une voiture en or. Mais il y a des choses qui simplement doivent être accessibles à tous.
- Mais certaines choses ‘standard’ en Angleterre sont un luxe en Pologne, comme tu l’as dit… c’est que ces choses manquent en Pologne ou c’est simplement parce que ‘tout le monde’ l’a en Angleterre ?
- … c’est pas si facile… je pense que la difficulté, c’est de voir que certains ont et que d’autres n’ont pas……. Je vois bien que tous ceux qui sont venus à Londres ne sont pas forcément plus heureux… ils sont certes plus riches que s’ils étaient restés en Pologne, mais ils sont jaloux de ceux qui ont encore plus. C’est aussi pour cela que ce n’est pas facile de faire venir ma mère ici….. je pense qu’elle se sentirait encore plus pauvre.
- Et pourquoi ne veux-tu pas rouler dans une voiture en or ?
- Parce que ce n’est pas le plus important !
- Où se situe la limite du ‘luxe’ ?...
- Tu as de drôles de questions…
- …
- … je me souviens de la famille pour laquelle j’ai travaillé. Il y avait un bébé, il était souvent malade. Sa mère travaillait beaucoup, et ils étaient souvent absents. Je m’en suis donc beaucoup occupé. Je le prenais dans mes bras souvent, je le berçais, je lui chantais des chansons… A la fin, il m’appelait ‘maman’…
- …
- … j’étais très mal ! Je me mettais à la place de la mère et je souffrais pour elle… je pense que quand tu en arrives à perdre ce lien, tu as perdu quelque chose, et ce n’est pas monnayable. Ces gens étaient riches et n’avaient pas besoin de perdre autant de temps pour gagner autant… On n’achète pas l’amour de ses enfants… ou même le respect de son mari, ou son écoute… ou la santé… il y a dans la vie des choses bonnes, qui sont offertes à chacun ou qu’il appartient à chacun de faire. Et c’est ce qu’il faut savoir recevoir ou faire. Ce sont des choses simples, mais précieuses. Partout où tu fais le bien, Dieu est présent.
- … et Dieu est le bonheur ?
- Tu ne crois pas en Dieu ?... excuses-moi, ce ne sont pas mes oignons.
- Tu n’as pas à t’excuser… disons que j’ai une certaine forme de croyance qui n’a pas besoin d’une histoire et d’un cadre pour exister. Je ne suis pas ‘chrétien’ si tu préfères…
- Mais vous êtes mariés ?!
- Oui, mais nous ne nous sommes pas mariés à l’Eglise.
- Un mariage sans église n’est pas un mariage !… enfin… disons que c’est difficile à imaginer…
- L’Eglise est si importante en Pologne ?
- Evidemment ! Presque tout le monde va à l’église… nous avons des cours de religion à l’école, et presque tout le monde est croyant… cela ne nous empêche pas d’être tolérant, bien sûr, mais il faut faire attention à ce que l’on dit.
- Mais… tu n’es pas mariée, et tu vis avec un petit ami à Londres, non ?
- Oui…… c’est pour ça que je dis qu’il faut faire attention. En Angleterre, c’est normal… donc, on finit par faire comme tout le monde. Mais quand je suis revenue en Pologne et que je l’ai avoué au prêtre, il a eu des mots très durs… ça a été comme un choc pour moi… tu vois, j’en pleure encore quand j’y pense.
- L’avis du prêtre, c’est si important?
- Nous en avons discuté avec mon ami… il est polonais aussi. Il comprend. Disons qu’il y a Dieu et l’église… parfois, c’est vrai qu’il faut aussi prendre un peu de distance, mais j’ai du mal… tu vois, je pleure comme une conne !
- Nous avons rencontré un type à vélo, juste avant Gdańsk, qui nous disait aussi que beaucoup de jeunes prennent leurs distances avec l’Eglise… selon lui, l’Eglise pomperait trop d’argent…
- … peut-être.
- Et en Angleterre, tu vas aussi à la messe ?
- Dieu est partout… je n’ai pas besoin d’aller forcément dans une église pour Lui parler.
- Tu en as besoin ?
- De Dieu ?? Mais bien sûr, comment veux-tu vivre sans la Foi ?
- … tout dépend ce que tu entends par ‘Foi’… s’il s’agit de t’en remettre à la destinée et d’attendre que les choses se fassent, je pense que non seulement on peut vivre sans… et qu’à la limite, il vaut mieux vivre sans… mais ce n’est que mon avis.
- Dieu n’est pas ailleurs. Il est partout et Il est en moi. C’est ce qui me donne la force, et la joie. Je sais grâce à Lui, qu’aussi longtemps que j’aurais deux yeux et deux mains, je vivrai.
- En voilà des paroles positives…
- Au fond, le bonheur, ce n’est pas compliqué : tant que tu es en bonne santé, c’est veiller à recevoir et donner autour de toi tout l’Amour de Dieu… le plus dur, bien sûr, c’est de garder cette force en soi tous les jours.’

Gare d'Olsztyn. Nous n'avons pas vu les 3 heures de train passer... ces trois heures de train nous ont fait faire un saut géographique qui nous aurait coûté 3 journées de pédalage.

'- Il ne faut pas descendre à celle-ci, il y a 2 gares... je descends avec vous. Mais au fait, où dormez-vous quand vous êtes en voyage comme ca ?
- Cela dépend... des fois en tente, des fois en auberge, voire même en ville, souvent en hotel.
- Et ce soir ?
- On ne sait pas encore.
- Vous vous promenez comme ca, sans jamais savoir où vous dormirez le soir ?? C'est génial... comme ce doit être excitant ! Si vous voulez venir chez ma mère, c'est au sud, à une bonne quarantaine de kilomètres d'ici !
- Nous devons prendre à l'Est... c'est gentil, mais nous devons être en Lituanie dans quelques jours et avons déjà passé plus de temps en Pologne que prévu. Mais peut-être pourrais-tu nous montrer quels sont les endroits à privilégier ?'


Lorsque que nous déchargeons tandem et carriole sur le quai, Dorota est aux anges. Elle croque tout ce drôle de matériel des yeux (sauf la poire du klaxon qu'elle croque à pleine main)... nous déplions le mât de la carriole, avec une nouvelle exclamation : 'Wouha, vous avez le drapeau polonais aussi !'... hé non, le temps de le dire, nous avons déroulé la bande bleue. 'Mais tu sais, nous ne t'en voulons pas d'avoir confondu, je ne suis pas sûr que beaucoup de francais reconnaîtraient le drapeau polonais !'...

Le moment de se séparer est arrivé. Dorota nous sert dans ses bras, tour à tour, en nous souhaitant toute la chance du monde, embrassent mille fois ses mains pour nous envoyer de nouveaux baisers de loin.
'Je penserai à vous...  et encore merci !'

'I will never forget you !'...