mardi 15 juillet 2014

Tallin, capitale européenne de la culture

Une fois le quartier Maakri traversé, la vieille ville.

 

Avec ses remparts médiévaux, ses tours et ses pavés, le cœur de Tallin sonne comme une véritable capitale européenne : les influences danoises et allemandes s’y font en effet sentir à un point tel qu’on pourrait sans mal se croire revenus dans quelque ville du Sud de l’Allemagne... d’ailleurs, pour ce vingtième anniversaire de l’indépendance retrouvée, Tallin est capitale européenne de la culture, et on sent qu’il ne faut guère forcer le trait pour y croire.

 

Le pavé des rues étroites et sinueuses est tout à la fois parcouru par le touriste à la promenade et par les habitants de la capitale : à côté de leur bicyclettes, jeunes femmes et vieilles dames remontent sans davantage se presser les ruelles pentues.
Les terrasses sont animées, les parasols tirés, et il règne du matin au soir un joyeux brouhaha. Des bourreaux, visages avalés par leur cagoule, hèlent le passant, l’invitant à découvrir les entrailles du musée des outils de torture médiévale. L’un d’eux, tongues de plastique bleu aux pieds, porte régulièrement à son oreille son téléphone portable, poursuivant sans plus d’embarras sa discussion à travers l’étoffe. Plus loin, distribution de soupe populaire, offerte par un manant vêtu de guenilles : le cœur de Tallin est à l’heure médiévale, et séduit ainsi le touriste nonchalant. Une soupe de légumes anciens, préparée sous ses yeux dans un véritable mortier d’époque (lui garantit-on), lui est offerte avec le sourire.
Des tambours résonnent crescendo. Levant le nez du bol médiéval, on découvre au loin un défilé de couleurs qui redescend la rue principale. C’est une compagnie de percussionnistes, bidons de plastique de 20L attachés autour de la taille, qui ouvre la marche à toute une procession d’amoureux de la ville : à l’occasion de cette année de mise à l’honneur de la culture, les couleurs de la ville et du pays (bandes horizontales de bleu, de noir et de blanc) ont en effet été portées sur des petits fanions ‘I love Tallin’ que s’arrachent les membres toujours plus nombreux de cette joyeuse procession.

 
Le temps de terminer le potage tout de même un peu aigrelet et la procession arrive à notre hauteur : nous découvrons à sa tête un arlequin masqué. Reposant nos bols de bois sur l’étal rustique, nous nous joignons à la longue file de curieux, mêlant nos visages aux ballons bleus et blancs et autres fanions rouges joyeusement secoués.



 
La destination surprise s’avère être un grand champ non loin du centre, en bordure du port. Une grande scène nous y attend, devant laquelle des bancs ont été installés. Les herbes piétinées mêlent leurs parfums aux pâtisseries qui cuisent non loin de là, contribuant à la bonne humeur ambiante.
 
Arlequin s’est éclipsé tandis que nos percussionnistes continuent à inciter la foule à se trémousser. Dernière mesure, derniers coups donnés, puis le silence. Applaudissements. Les bidons heureux et satisfaits se dispersent tandis que la foule s’ordonne et se diffuse dans les traverses de bancs.
 
Enfin, les trois coups, le rideau se lève.
 
C’est une troupe italienne. Commedia dell’arte.
Gros pifs, gros cris et gros mots, les pitreries se succèdent devant le public et ne tardent pas à nous arracher quelques rires… situations grotesques, coups de poêle et de massue aux résonnances extravagantes, visages grimaçants et gestes amples, tout le ridicule du genre humain exacerbé dans cette comédie où le ridicule côtoie l’acerbe et s’y marie avec délice : nul besoin de comprendre le texte italien, le sel de la gestuelle suffit à lui seul à nous séduire et il ne faut guère de temps pour que nous soyons totalement conquis.
Si, assis à côté de nous, les enfants se marrent de bon cœur, nous sommes bientôt frappés par une chose : là où nous rions franchement, nous constatons qu’une très grande partie du public derrière nous ne sourcille même pas… et c’est chose tout à fait marquante.
Ceci est tellement frappant qu’aussitôt, Arlequin et ses tortionnaires disparaissent de notre champ sonore : nous nous écartons discrètement du bord de la scène et observons à présent ce drôle de public… les joyeux membres de la procession semblent s’être métamorphosés.
Disparue la volubilité de la procession. Evanouie l’exaltation des tambours. La sérénité qui se lisait sur les visages encore si peu de temps auparavant a laissé place à une expression nette d’incrédulité.
 
‘Ils ne comprennent pas’…
 
Voilà une expérience troublante.
La Commedia dell’arte, exercice accessible s’il en est, se dit-on, ‘universel’ même, du moins le pense-t-on… les laisse d’une indifférence totale.
Certains discutent, d’autres lisent leur programme, d’autres encore regardent le ciel ou baillent franchement. Mais le plus troublant, c’est encore de voir cette expression de curieuse politesse sur la plupart des visages : une question ouverte, une attente de savoir où tout cela veut en venir…
Ils passent complètement à côté. La rencontre n’a pas lieu.
 
A la fin du spectacle, les applaudissements sont à l’image de l’expression des visages : polis. Pas suffisants pour que les acteurs ne viennent saluer une nouvelle fois.
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Troublés, nous remontons le vieux centre, empruntant d’opulentes rues sur les hauteurs, en marge du tumulte du cœur même de la vieille ville. Les rues pavées y sont plus larges, les façades plus imposantes et les cylindrées rutilantes. Quartier très chic.
On y entend quelques voix murmurées, le chant d’oiseaux et le bruit feutré de clapotement des pneus sur le pavé poli.
 
A l’extrémité de la colline, nous revenons par hasard sur le parvis de la cathédrale Alexandre Nevsky.
Parmi les nombreux touristes venus des quatre coins du globe pour en franchir le portique, nous constatons une part non négligeable de femmes, jeunes et moins jeunes, allant et venant en marchant à côté de leur vélo. Recouvrant leur cheveux d’un voile plus ou moins léger selon les générations, elles rentrent discrètement, seules dans l’édifice, pour quelques minutes, ou davantage…
 
… et si, finalement, l’espace physique est à présent si largement dominé par un ‘air occidental’, adopté en grande partie pour la nouvelle génération, il nous semble qu’il ne s’agit encore que de la surface des choses : à y regarder de plus près, il n’est en effet pas si difficile de constater qu’au fond, l’espace intime, qu’il s’agisse d’humour ou de croyance, reste encore bien étranger à ce modèle occidental et à une certaine ‘culture européenne’.
 

 Et peut-être est-ce là précisément que demeure l’héritage soviétique…
 
 

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