mardi 15 juillet 2014

Tallin, capitale européenne de la culture

Une fois le quartier Maakri traversé, la vieille ville.

 

Avec ses remparts médiévaux, ses tours et ses pavés, le cœur de Tallin sonne comme une véritable capitale européenne : les influences danoises et allemandes s’y font en effet sentir à un point tel qu’on pourrait sans mal se croire revenus dans quelque ville du Sud de l’Allemagne... d’ailleurs, pour ce vingtième anniversaire de l’indépendance retrouvée, Tallin est capitale européenne de la culture, et on sent qu’il ne faut guère forcer le trait pour y croire.

 

Le pavé des rues étroites et sinueuses est tout à la fois parcouru par le touriste à la promenade et par les habitants de la capitale : à côté de leur bicyclettes, jeunes femmes et vieilles dames remontent sans davantage se presser les ruelles pentues.
Les terrasses sont animées, les parasols tirés, et il règne du matin au soir un joyeux brouhaha. Des bourreaux, visages avalés par leur cagoule, hèlent le passant, l’invitant à découvrir les entrailles du musée des outils de torture médiévale. L’un d’eux, tongues de plastique bleu aux pieds, porte régulièrement à son oreille son téléphone portable, poursuivant sans plus d’embarras sa discussion à travers l’étoffe. Plus loin, distribution de soupe populaire, offerte par un manant vêtu de guenilles : le cœur de Tallin est à l’heure médiévale, et séduit ainsi le touriste nonchalant. Une soupe de légumes anciens, préparée sous ses yeux dans un véritable mortier d’époque (lui garantit-on), lui est offerte avec le sourire.
Des tambours résonnent crescendo. Levant le nez du bol médiéval, on découvre au loin un défilé de couleurs qui redescend la rue principale. C’est une compagnie de percussionnistes, bidons de plastique de 20L attachés autour de la taille, qui ouvre la marche à toute une procession d’amoureux de la ville : à l’occasion de cette année de mise à l’honneur de la culture, les couleurs de la ville et du pays (bandes horizontales de bleu, de noir et de blanc) ont en effet été portées sur des petits fanions ‘I love Tallin’ que s’arrachent les membres toujours plus nombreux de cette joyeuse procession.

 
Le temps de terminer le potage tout de même un peu aigrelet et la procession arrive à notre hauteur : nous découvrons à sa tête un arlequin masqué. Reposant nos bols de bois sur l’étal rustique, nous nous joignons à la longue file de curieux, mêlant nos visages aux ballons bleus et blancs et autres fanions rouges joyeusement secoués.



 
La destination surprise s’avère être un grand champ non loin du centre, en bordure du port. Une grande scène nous y attend, devant laquelle des bancs ont été installés. Les herbes piétinées mêlent leurs parfums aux pâtisseries qui cuisent non loin de là, contribuant à la bonne humeur ambiante.
 
Arlequin s’est éclipsé tandis que nos percussionnistes continuent à inciter la foule à se trémousser. Dernière mesure, derniers coups donnés, puis le silence. Applaudissements. Les bidons heureux et satisfaits se dispersent tandis que la foule s’ordonne et se diffuse dans les traverses de bancs.
 
Enfin, les trois coups, le rideau se lève.
 
C’est une troupe italienne. Commedia dell’arte.
Gros pifs, gros cris et gros mots, les pitreries se succèdent devant le public et ne tardent pas à nous arracher quelques rires… situations grotesques, coups de poêle et de massue aux résonnances extravagantes, visages grimaçants et gestes amples, tout le ridicule du genre humain exacerbé dans cette comédie où le ridicule côtoie l’acerbe et s’y marie avec délice : nul besoin de comprendre le texte italien, le sel de la gestuelle suffit à lui seul à nous séduire et il ne faut guère de temps pour que nous soyons totalement conquis.
Si, assis à côté de nous, les enfants se marrent de bon cœur, nous sommes bientôt frappés par une chose : là où nous rions franchement, nous constatons qu’une très grande partie du public derrière nous ne sourcille même pas… et c’est chose tout à fait marquante.
Ceci est tellement frappant qu’aussitôt, Arlequin et ses tortionnaires disparaissent de notre champ sonore : nous nous écartons discrètement du bord de la scène et observons à présent ce drôle de public… les joyeux membres de la procession semblent s’être métamorphosés.
Disparue la volubilité de la procession. Evanouie l’exaltation des tambours. La sérénité qui se lisait sur les visages encore si peu de temps auparavant a laissé place à une expression nette d’incrédulité.
 
‘Ils ne comprennent pas’…
 
Voilà une expérience troublante.
La Commedia dell’arte, exercice accessible s’il en est, se dit-on, ‘universel’ même, du moins le pense-t-on… les laisse d’une indifférence totale.
Certains discutent, d’autres lisent leur programme, d’autres encore regardent le ciel ou baillent franchement. Mais le plus troublant, c’est encore de voir cette expression de curieuse politesse sur la plupart des visages : une question ouverte, une attente de savoir où tout cela veut en venir…
Ils passent complètement à côté. La rencontre n’a pas lieu.
 
A la fin du spectacle, les applaudissements sont à l’image de l’expression des visages : polis. Pas suffisants pour que les acteurs ne viennent saluer une nouvelle fois.
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Troublés, nous remontons le vieux centre, empruntant d’opulentes rues sur les hauteurs, en marge du tumulte du cœur même de la vieille ville. Les rues pavées y sont plus larges, les façades plus imposantes et les cylindrées rutilantes. Quartier très chic.
On y entend quelques voix murmurées, le chant d’oiseaux et le bruit feutré de clapotement des pneus sur le pavé poli.
 
A l’extrémité de la colline, nous revenons par hasard sur le parvis de la cathédrale Alexandre Nevsky.
Parmi les nombreux touristes venus des quatre coins du globe pour en franchir le portique, nous constatons une part non négligeable de femmes, jeunes et moins jeunes, allant et venant en marchant à côté de leur vélo. Recouvrant leur cheveux d’un voile plus ou moins léger selon les générations, elles rentrent discrètement, seules dans l’édifice, pour quelques minutes, ou davantage…
 
… et si, finalement, l’espace physique est à présent si largement dominé par un ‘air occidental’, adopté en grande partie pour la nouvelle génération, il nous semble qu’il ne s’agit encore que de la surface des choses : à y regarder de plus près, il n’est en effet pas si difficile de constater qu’au fond, l’espace intime, qu’il s’agisse d’humour ou de croyance, reste encore bien étranger à ce modèle occidental et à une certaine ‘culture européenne’.
 

 Et peut-être est-ce là précisément que demeure l’héritage soviétique…
 
 

Les couleurs de l'Estonie

 
 
Une bande horizontale de bleu, évoquant à la fois le ciel et confiance, une autre juste en dessous de noir, rappelant le devoir de réalisme (couleur de la terre et du passé douloureux), puis enfin une bande inférieure de blanc, couleur de la neige et de la liberté, telles sont les couleurs nationales estoniennes, brandies par épisodes tout au long de l'Histoire du siècle dernier.
 
 
Si depuis une vingtaine d'année, ces couleurs sont fièrement arborées, la forme même de ce drapeau a fait l'objet d'un débat national révélateur : la structure de 3 bandes horizontales, adoptée également par les deux sœurs baltes, ne serait en effet pas sans rappeler celle... de la trop proche Russie.
 
 
Aussi, pour marquer la force des liens qui unissent dorénavant le pays à ses voisins scandinaves (aussi bien du point de vue culturel, linguistique que commercial), une proposition alternative avait été étudiée au tout début des années 2000 (soit dix ans après le retour à l'indépendance), consistant à adopter la croix scandinave, tout en maintenant les couleurs d'origine.
 
 
 
Si ce projet n'a finalement pas abouti, cela semble toutefois end ire suffisamment long sur les aspirations du pays.

 
 

lundi 14 juillet 2014

Tallin, comme un air de Manhattan

Tallin, ultime capitale balte.
A deux cents kilomètres de là à peine, la frontière russe.
Deux cents autres kilomètres environ, et nous serons arrivés au terme de ce voyage.
 
Si Tallin a subi le même sort que ses consœurs baltes durant la période soviétique (russification de masse conduisant à ce que plus de la moitié de la population soit russe), les influences de cette période d’occupation ou de la proximité géographique restent de manière surprenante très discrètes au cœur de la capitale estonienne, et finalement, ce n’est pas le parfum russe que l’on ressent en premier en y pénétrant: c’est au contraire comme un parfum… de Manhattan !
 

De grandes tours de verre, de larges avenues bordées d’imposants panneaux publicitaires, de belles cylindrées, et pour couronner le tout : des files de taxi jaunes qui stationnent devant des hôtels de haut standing, voilà le premier aperçu que l’on a de la capitale en pénétrant au cœur de la ville par le tout récent quartier de Maakri.
 
Tallin, boostée par les investissements de la toute proche Finlande, arbore fièrement son adhésion totale à la boulimie occidentale. Difficile de ne pas remarquer ‘Viru Keskus’, centre commercial de trois étages aux proportions que l’on pourrait qualifier sans peine, après les derniers milliers de kilomètres parcourus, de démesurées…


Malgré tout, nous nous surprenons très vite à oublier Tallin et l’Estonie en parcourant ces étages, absorbés sans même y prendre garde par des rayons que nous retrouvons avec un réel plaisir : parmi les très nombreuses vitrines de modes et de restauration rapide, nous retrouvons en effet une boutique à l’odeur caractéristique… une librairie. Une belle, grande, opulente librairie de plusieurs étages, qui recèle même quelques bons rayons de littérature française pubiée dans la langue d'origine… Un étage plus bas, des rayons d’écrans plats aux proportions tout aussi démesurées, et des centaines de milliers d’heures de DVD de production américaines qui attendent d’être dévorées.


 
Au rayon des magazines, Eva Longoria, sublimée par les couvertures pastelles de Elle et de Vogue qui l’entourent, pose en une de hairstyle aux graphismes colorés, et nous promet de nous dévoiler une coupe de cheveux simple et sexy, tandis que Britney et Rihanna se sont rejointes côte à côte, l’une nous invitant à ‘updater notre look’ pour Bazar, l’autre à découvrir 6 zones érogènes masculines secrètes dans Cosmopolitain… c’est ce que nous découvrons sans peine à la lecture des titres : la plupart des magazines sont en effet en langue anglaise.

 
 
Nous n’avons d’ailleurs aucun mal à nous faire comprendre sur place : la plupart des restaurateurs parlent un anglais impeccable et c’est un jeu d’enfant que de commander une pizza, à déguster devant la diffusion en direct d’une étape alpestre du Tour de France, ou encore d’une manche du Classic d’Atlanta, où l’on retrouve Andy Roddick bien à la peine…
… le même Andy Roddick que celui qui pose – mais plus pour longtemps – en enfilades Lacoste en bordure des avenues…
 
… qu’est-ce donc que le bonheur ?….
 

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dimanche 18 mai 2014

Le bonheur : conclusion

 
Ne conclue-t-on jamais ?...
 
Tandis que la fin du voyage approche à grands pas, cette grande question du bonheur à laquelle nous nous sommes attelés depuis les premiers kilomètres prend chaque jour de plus en plus l’allure d’une montagne inaccessible : nous en devinons les contours, traçons par l’esprit certains passages, mais elle reste si vaste et nous avançons si lentement qu’il nous semble parfois ne jamais devoir en atteindre le sommet… comment alors ne pas trembler au moment de ‘conclure’ ? 
 
Ne conclue-t-on jamais ?...
 
Assurément non.
 
Ce matin, les jambes tournent bien. Il fait frais. Il a plu durant la nuit.
La campagne somnole encore : les prés s’évaporent gentiment, tandis qu’à l’orée des bois, les feuilles égrainent sans impatience les dernières gouttes accrochées à leurs pointes. Les troupeaux semblent statufiés. Seules mandibules et extrémités de queue s’animent légèrement.
Aucun bruit. Quelques chants épars… et quelques gravillons projetés discrètement sur la carriole.
L’air frais caresse les joues, tandis qu’à l’intérieur de nos vestes, le moteur tourne et nous réchauffe de l’intérieur.
Nous surprenons 2 renardeaux en train de jouer, qui ne remarquent même pas notre présence.
 
C’est à peu près tout…
 
Les rencontres de ces dernières semaines nous habitent entièrement. Légères… agréables. Diverses.
 
Réconfortantes
 
 
Celles-ci se mêlent, se juxtaposent et s’émancipent, se superposent et s’opposent… dans le demi silence qui entoure notre progression, tout juste rythmé de quelques gravillons discrètement projetés, des évidences naissent… malgré nous.
Des évidences aux allures de vérités, qui semblent donner aux battements de cœur quelque chose de profondément inébranlable… en cet instant, pas un seul soupçon de doute. Pas une once de crainte, ni de réserve.
Sensation à la fois fascinante et terrifiante de la ‘certitude’…
Sans prévenir, tout semble être ‘là’.
 
Comme le disait malicieusement Erik, assis parmi les débris de Tacheles : ‘C’est là, juste sous tes yeux’…
 
Ca a toujours été ‘là’, sous nos yeux...
 
 
Qu’est-ce que le bonheur ?
 
A contempler la montagne depuis la plaine, comment évidemment ne pas être découragé…
La montagne se gravit pourtant : à notre mesure, avec assiduité, en avançant, petit pas après petit pas.
 
De même, il faut sûrement abandonner tout espoir d’atteindre cette ‘question du bonheur’ en l’attaquant de front. Se contenter de petits pas. Atteindre quelques cols intermédiaires, et poursuivre toujours la route.
 
Ces cols intermédiaires : toutes ces rencontres que l’on a faites, avec pour chacune d’entre elles, un fragment de réponse. Des fragments aux contours difformes, éléments inintelligible considérés unitairement, mais qui, comme des pièces de puzzle, combinés les uns aux autres, révèlent quelque relief jusqu’alors indiscernable.
Un relief que l’on avait pourtant jusque-là toujours ‘vu’, par bribes… inconsciemment.
Sans le reconnaître.
 
Le bonheur est solitaire.
Evidence…
 
Une évidence telle qu’une fois formulée en mots, je ris de constater que cela avait pu m’échapper jusqu’à présent… je ris tout en pédalant.
Tandis qu’autour de moi, l’Estonie défile, je suis ailleurs…
 
Le bonheur est solitaire : c’est en soi qu’il faut le rechercher. Se laisser guider par son sentiment profond… tout commence par là. 
Le bonheur n’est pas chose aisée. Il est très difficile de la trouver en soi, il est impossible de le trouver ailleurs’.
Cette maxime de Bouddha, entendue je ne sais plus où, ni quand, gravée quelque part depuis, résonne en cet instant d’une lumière nouvelle : ‘il est impossible de le trouver ailleurs’
 
‘Le bonheur n’est pas chose aisée’…
Autre évidence.
 
Il me semble qu’en unissant ces deux fragments, un chemin considérable est déjà parcouru…
Sûrement le savais-je déjà… oui, il me semble en effet l’avoir toujours su.
 
Et pourtant, il me semble que jamais je n’aurais jusqu’à présent été en mesure d’énoncer de telles évidences.
 
Et tandis que ces évidences s’imposent d’elles-mêmes, chassant un à un les nuages qui les dissimulaient, je reconnais ceux-ci tandis qu’ils s’évaporent (‘ne serait-il pas plus intéressant de s’intéresser aux obstacles ?’ avait avancé Erik…).
 
La première erreur consiste évidemment à s’en remettre à d’autre pour être heureux.
S’en remettre à ‘on’… à ‘tout le monde’. A cet être indistinct et omniprésent, qui à coup sûr, saurait mieux que nous… s’en remettre au grand nombre. A de grands borgnes.
Leur obéir, gesticuler, suivre, poursuivre, s’essouffler…
Accumuler, amasser, avoir et s’endetter.
S’aliéner…
 
 
‘le bonheur est une chose trop précieuse pour être confié à autrui’, autre citation d’un certain Dalaï Lama… et pourtant, combien déjà s’y perdent ?
 
 
 
Autre erreur, autre espoir : croire que le bonheur est une chose facile.
‘Il est très difficile de la trouver en soi…’
 
Combien se perdent en route, séduits par les sirènes de la facilité ?
Séduire se dit verführen en allemand : il y a l’idée de guider (führen) tout en déviant de la trajectoire (‘ver’)…
Non, le bonheur ne semble pas une chose facile.
Le plaisir, ce ‘bonheur des fous’ peut être facile. Le bonheur, non.
 
Elever sa fille seule. Ywonne.
A coup sûr, une chose qui n’est pas facile, et c’est pourtant son bonheur. Divorcer et revenir au pays. Une nécessité solitaire. Qui n’a rien de ‘facile’…
Pédaler des heures durant. Robert.
Un effort physique qui en épuiserait plus d’un rien que par la pensée. Et pourtant, son bonheur. Sa ‘passion’… les heures consacrées à sa boutique. Du travail.
Ces soirées de guitare, ces suites d’accords réconfortantes. Vincent.
Là aussi, avant d’être suite d’accord, ces mélodies ont été heures d’apprentissage, de douleur de poignet trop raide, de répétition… de même ces aller-retour dans la maison sur un monocycle avant de pouvoir monter un spectacle. Heiner.
Qui ne s’est pas laissé décourager par de séduisantes sirènes (‘il est trop tard pour apprendre’…).
 
Apprendre… créer.
Des masques ou des totems.
 
Rien de ‘facile’.
 
Des suites d’essais. Des suites d’échecs au regard de la ‘perfection’… des suites de ‘victoires’ au regard des tentatives personnelles précédentes.
Ici encore, à quoi et à qui s’en remet-on ?
 
Le bonheur est solitaire.
Il n’a donc pas à être démontré et se suffit à lui-même.
 
Je reconnais ici un joli tour de passe-passe de nos sociétés occidentales… où ‘bonheur solitaire’ et ‘bonheur individualiste’ sont confondus.
Si la première étape consiste à exhorter chacun à être heureux, dès le plus jeune âge (une aspiration naturelle qu’il n’est pas difficile d’encourager) et la seconde à lui donner les clefs  de ce bonheur (nécessairement consumériste et matérialiste), la troisième consiste en effet à exacerber l’individualisme et le culte du ‘moi’, en opposition aux autres, afin que cette poursuite du bonheur devienne une ‘revendication compétitive’ et puisse se renouveler sans cesse…
Dès lors, l’exercice de ‘construction’ du bonheur se réfère en effet à autrui.
Cette construction se démontre, se positionne, se  classe, se réfère, sur une base de classification constamment renouvelée : dernière innovation technologique, dernière publication qu’il faut avoir lue, dernière sortie de film qu’il faut avoir vu, etc…. une course effrénée sans fin au rythme toujours accéléré, qui s’apparente de très près à ce levier des plaisirs qui ne durent pas, activé avec toujours plus de frénésie.
 
Vivre, expérimenter demande du temps.
 
Une nouvelle évidence.
 
Ce rapport au temps.
 
Combien d’années consacrées à un même but avant que ne puisse se concrétiser ce rêve solitaire d’un ‘Europas Parkas ‘ ou d’un musée de l’ambre ?
Combien de temps pour l’éducation d’un enfant ?
Combien de temps pour monter un spectacle de monocycle ?
Combien de temps pour rejoindre Berlin à St-Pétersbourg à vélo ?
Combien de temps enfin pour quelques accords de guitare, un masque de bois ?
 
Plus assurément qu’une course effrénée pour constamment ‘être à la page’ n’en laisse.
 
 
 
Comment alors quitter la grande course des plaisirs ‘partagés’ et s’engager sur ce chemin solitaire de construction de ‘bonheur’ ?
En commençant par ne rendre des comptes qu’à soi-même. A se libérer.
S’émanciper de ces guides invisibles, ces prescripteurs omniprésents.
En commençant par se faire confiance. S’écouter. Apprendre à se connaître… trouver (ou retrouver) la paix en soi, afin de ne pas se mettre en danger malgré soi, au fin fond de la Pampa.
En commençant par trouver en soi, dans ce dialogue solitaire, les sources de joie, de paix et les ressources pour y accéder par soi-même.
Découvrir ces capacités par l’expérience.
 
Ne pas avoir peur !
 
Se lancer sur un vélo sans roulettes. Expérimenter.
Malgré quelques chutes, recommencer. Puis un jour, grimper la côte du village, puis celle du canton… se frotter à une autre, encore plus importante et ainsi de suite. Faire l’expérience des échecs. En comprendre les raisons, travailler encore pour repousser ces limites.
 
Développer l’autonomie.
 
'I have eyes..... I can see,
I have ears... I can hear,
I have legs.... I can walk (or ride a bicycle !),
 
and I have hands..... I can do'
 
 
Pour reprendre l’expression d’un célèbre philosophe, à l’image de ces pays baltes, ballottés par l’histoire et qui ont finalement développé une certaine indifférence vis à vis des grandes idéologies, tout en garantissant l’essentiel au sens littéral du terme: apprendre en somme à ‘cultiver son jardin’…
 
Jamais jusqu’à présent toutes ces choses ne m’étaient apparues avec une telle clarté, une telle évidence
 
Comment en être certain ?
 
… je ne saurai le dire, et pourtant, il me semble bien, comme le disais Erik, que… ‘tout est là, sous nos yeux’…
 
… et dans nos mains.
 
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dimanche 23 mars 2014

Pärnu, un sentiment de chez soi

 
A quoi cela tient-il de se 'sentir à la maison' ?
 
Voilà un fait bien inattendu : arrivés à Pärnu, nous nous sentons 'comme à la maison'...
 
La soute refermée, la porte du bus se translate tout en pivotant, claque dans un bruit sourd de joint comprimé, et le bus reprend sa route.
 
Le temps de ré-assembler le gros légo qu'est devenue notre embarcation et nous voilà repartis en déambulant dans les rues de cette première ville d'Estonie.
 
Oui, c'est étrange : ce ne sont que quelques minutes de déambulation vélocipédiques et pourtant, nous nous sentons bel et bien 'comme à la maison'...
 
Depuis le mois de janvier, l'Estonie, contrairement à ses deux consœurs baltes, ou encore à la Pologne, a intégré la zone euro. Le pays aurait profité de la proximité de la Finlande pour développer à vitesse grand V son économie et raccrocher ainsi plus rapidement le wagon de Maastricht.
 
Bien enfouis au fond d'une pochette depuis que nous avions quitté la frontière germano-polonaise – les premiers jours du voyage, une éternité de cela ! – nous ressortons comme une antique relique nos billets et pièces estampillés des 12 étoiles et nous rendons dans le premier 'supermarché' qui se présente.
 
Un supermarché 'banal', avec son hangar à chariots enchaînés les uns aux autres et que l'on libère en y insérant une pièce d'un euro ou à la rigueur de cinquante centimes... les portes coulissent, les rayons sont lumineux et une radio diffuse quelques classiques américains. Baaaaaby, baaaby... tiens, les Supremes... Les gens déambulent à travers les allées, derrière leur chariot, à demi penchés vers les rayons, qu'ils scrutent lentement. Les gens se croisent sans se remarquer, regardant tantôt par dessus l'épaule d'une autre, tantôt dans la direction opposée, tous absorbés par la tâche méticuleuse... une petite fille à cheval sur le petit siège et bien agrippée à la poignée pousse quelques cris d'excitation tout en tapant des pieds sur la grille qui résonne.
 
Paysage familier...
 
Au rayon boucherie, nous devons prendre un ticket et attendre que le numéro gagnant sorte. Une petite poubelle est installée au bout du rayon pour nous soulager de l'encombrant ticket une fois le numéro sorti.
 
Devant l'étal si bien achalandé, nous surprenons un sentiment inattendu : il y a du plaisir... l'abondance nous rassure. Nous détend... nous donne comme un sentiment de sécurité... un sentiment de 'chez soi'.
 
Arrivés à la caisse, nous retrouvons les paillettes des unes de magazines... Cameron Diaz en tenue de soirée, Monica Bellucci au regard langoureux. Déjà nous voilà pris dans les filets : la revue s'est retrouvée dans nos doigts, qui caressent la tranche et font défiler les images, comme pour nous souvenir... Nos denrées avancent, s'immobilisent. Le petit panneau de séparation est levé, déjà le moment de reposer le petit monde de paillettes. Les bips de codes-barre se suivent, presque réguliers, une somme s'affiche, que l'on n'a pour une fois plus besoin de convertir, nous tendons un billet et la monnaie nous est rendue: la plupart des pièces sont rutilantes.
 
Au dos de celles qui sont usées, un cygne en envol.
 
Les portes automatiques du supermarché se referment. Devant nous, des files de voitures, pour la plupart de marques allemandes de toutes classes, bien ordonnées, auprès desquelles sont garés quelques chariots que l'on décharge. Ces derniers rejoignent le hangar, les portières de la voiture familiale claquent et la tâche ménagère est terminée : retour à la maison. Sur le côté du parking, de grands sacs de tri sont chargés par un jeune homme dans un camion benne, tandis que nous entendons le cliquetis des bouteilles consignées que l'on rassemble dans des caisses.
 
Le trajet réalisé en bus de Ventpils à Pärnu via Riga, à peine 350km autour du golf, nous a comme propulsés plusieurs milliers de kilomètres en arrière, et nous voici comme revenus aux premiers jours... de retour vers l'ouest.
 
Ici, l'ostalgie semble s'évanouir tout à fait. Une intégration parfaite. Une conversion aboutie.
 
Drôle de sensation...
 
 
 
Tandis que nous remontons la rivière homonyme, laissant la ville derrière nous non sans avoir repéré quelques cascades épanouies de chevelures blondes Loréal/JC Decaux, l'impression d'être revenu chez soi ne se dissipe toujours pas... par cette soirée bénie qui voit le soleil transpercer à l'horizon les nuages bas sous lequel il se glisse progressivement, nous croisons plusieurs cyclistes à la promenade sur quelques tronçons de piste cyclables, soleil sur les joues, sourire au coin des lèvres et qui se balancent doucement, légèrement, d'un côté, puis de l'autre, au fur et à mesure qu'ils appuient sur la pédale. Les roseaux bruissent doucement, quelques canetons fébriles poursuivent une canne qui se promène, se laissant glisser sur les flots, comme à la dérive. En travers des cours, devant les portes de garage, les vélos sont laissés à terre et la porte de l'entrée laissée ouverte.
 
Nous trouvons sans mal à poser la toile. Un camping chez l'habitant.
 
De lourdes tables de pins à l'extérieur, un fumoir. Et tout contre la forêt de résineux adjacente, des balançoires, un bac à sable. Une table d'échec, aux pièces de bois, a même été disposée un peu à l'écart, dans un petit renfoncement, près d'un cabanon au toit recouvert de végétation.
 
La jeune femme qui nous accueille prend tout son temps, souriante et posée. Nous serons seuls ce soir, car nos hôtes seront de sortie. Bien sûr, cela ne nous dérange pas.
 
Pris de cours par les derniers événements, nous lui demandons comment se dit 'merci' en estonien.
 
Elle s'en amuse et prononce doucement... 'Aitäh' !
 
Le soleil s'est à présent tout à fait imposé.
 
Tandis que l'eau chauffe par dessus le réchaud, nous restons là, assis à la grande table de pin, appuyés sur nos coudes, immobiles, à goûter de cette quiétude... toujours avec ce drôle de sentiment d'être un peu 'revenus à la maison'.