Il a plu une bonne partie de la nuit.
Sur la plage, le sable est criblé de minuscules impacts.
Nous dirions que la plage a la chair de poule...
Les enfants sont déjà levés : ils sautillent
d'impatience... ce matin, traite de brebis au programme. Une femme d'une bonne
cinquantaine d'années arrive en effet, à vélo. Nous nous demandons d'où elle
peut bien venir : sur des dizaines de kilomètres à la ronde, il n'y a pas
un village. Juste un océan de pins en bord de mer.
La chèvre, remisée dans son enclos, se laisse faire,
étonnamment docile. Les enfants goûtent le lait encore tiède et font la grimace
tour à tour. Ingrid rit.
La suite du programme : se baigner, et partir à la
recherche de petites pépites en bord de mer... d'ailleurs, si nous le
souhaitons.....
L'invitation est charmante, mais une fois de plus, il va
nous falloir reprendre notre route.
Où allons-nous ?
Vers Ventspils, au Nord.
Ingrid nous indique un phare sur la côte, un peu plus
loin. C'est dans notre direction. Nous ne croiserons personne. C'est de toute
façon une région très calme, comme nous le constaterons.
Nous remercions, puis, après le claquement traditionnel
de nos pédales, nous nous en retournons une fois de plus, laissant avec un
petit regret Ingrid et sa petite troupe rejoindre le rivage, serviette en bout
de bras.
Si la piste, jusqu'ici, avait pu être capricieuse, nous
nous rendons rapidement compte que finalement, elle était restée encore très
praticable au regard de ce que nous découvrons peu à peu... la roche, est en
effet rapidement repoussée en bordure, tandis que le milieu de la chaussée est
colonisé par des nappes sableuses. D'abord superficielles, elles deviennent
très vite de plus en plus épaisses. Nous regrettons bientôt ces parties
ondulées qui nous remuaient certes les tripes, mais qui tout de même restaient
'en dur' et sur lesquelles nous pouvions garder un certain équilibre. Sur ce
sable, qui grignote considérablement la voie, nous n'avons aucun moyen de
'sonder' la profondeur des nappes qui se multiplient en travers de nos roues.
La roue avant chasse parfois quelques instants, avant de gripper à nouveau sur
une surface dure atteinte 'au fond', et nous devons bientôt pédaler 'sur la
pointe des pieds', tout sens en éveil, sur la crête d'équilibre.
La piste s'enfonce tout droit
à travers la forêt de pins, toujours plus au nord. Parfois, nous traversons une
clairière, où quelques saules baignent leurs pieds dans des marres de joncs
sombres.
Malheureusement, le sable continue d'envahir la piste et
il nous devient bientôt impossible de rouler ailleurs qu'en bordure de
celle-ci. Lorsqu'une poche de sable interrompt la bordure, nous devons mettre
pied à terre et, selon, pousser un peu plus loin ou traverser pour emprunter la
bordure d'en face.
Voilà déjà une bonne heure que nous roulons. Une
douzaine de kilomètres tout juste. Autant dire que ce n'est pas un record...
pourtant, nous peinons. Le ciel est lourd... et si l'air reste frais, nous
sentons une atmosphère orageuse : l'air, en l'inspirant, semble en effet
s'épaissir.
Une piqûre.
Une claque : au creux du genou, la dépouille d'un
taon.
La piste s'est rétrécie. Ses bords se sont relevés, et,
pour notre plus grand malheur, la voie s'apparente progressivement à une
véritable cuvette... il nous faut pousser.
Une autre claque. Une autre dépouille.
Un soleil voilé à travers le rideau nuageux. Nous avons chaud...
nos sourcils sont humides. Une nouvelle claque... cette fois-ci, c'est raté.
La piste émerge enfin de la cuvette sableuse, nous
pouvons remonter en selle. Nous roulons prudemment, sans cesse en porte à
faux... nous remarquons malheureusement qu'à cette allure, nous ne distançons
plus les petits rapaces qui nous suivent... derrière nous, l'escadron de taons
gagne progressivement en effectif, et il nous devient difficile, en
semi-équilibre, d'éclaircir vraiment leur rangs. Les piqûres se multiplient. Si
– avantage du tandem – nous chassons les attaques sur nos bras et nos visages,
celles, plus pernicieuses, qui se concentrent sur le bas de nos postérieurs et
le dessous de nos cuisses ne peuvent être évitées... nous profitons de quelque
halte pour écrémer les rangs de nos adversaires, mais il semble que plus nous
avançons, et plus cette horde sauvage se densifie... nous accélérons, mais le
tandem chavire, roues noyées en travers d'une nappe de sable... soit : la
guerre est déclarée...
Nous laissons le tandem et la carriole au sol, en
travers, échoués dans le sable, et nous nous frappons mutuellement en tenant
joyeusement le décompte. Lorsqu'enfin, nous avons gagné la bataille, nous
relevons notre monture et reprenons tant bien que mal l'allure.... jusqu'à
constater quelques centaines de mètres plus loin qu'un nouvel escadron s'est
matérialisé derrière nous...
De quoi tourner dingue...
En bord de 'piste', un panneau de bois nous indique un
phare. Trois kilomètres nous en séparent... trois kilomètres de mini dunes de
sable traître et de kamikazes obstinés...
Nous passons bientôt la majeure partie du temps à
pousser, en marchant à côté de nos roues, en entrecoupant cette joyeuse
randonnée de haltes lors desquelles nous nous frappons mutuellement.
Nous comptons les poteaux électriques qui se succèdent
en bord de piste. Un tous les vingt mètres environ. Tous les dix poteaux, une
halte à claques. Au bout de cinquante poteaux, un kilomètres de grignoté.
Une bifurcation : aucune direction n'indique le phare...
En face, la piste devient un chemin forestier, bordé des
sempiternels poteaux goudronnés. A gauche, deux voies plus ou moins parallèles
s'enfoncent dans les pins.
Nous prenons à gauche...
Les deux sentes s'émancipent peu à peu du sable. La roue
avant s'élève un peu, grignote la butte, puis redescend presque aussitôt dans
un creux avant de contourner un amas rocheux. Une sailli, une nouvelle butte,
puis le ciel enfin s'éclaircit : dans cet espace retrouvé, un trait de
rouge, vertical, se détache du ciel.
Enfin le voici : le phare.
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