A quoi cela tient-il de se 'sentir à la maison' ?
Voilà un fait bien inattendu : arrivés à Pärnu, nous
nous sentons 'comme à la maison'...
La soute refermée, la porte du bus se translate tout en
pivotant, claque dans un bruit sourd de joint comprimé, et le bus reprend sa
route.
Le temps de ré-assembler le gros légo qu'est devenue notre
embarcation et nous voilà repartis en déambulant dans les rues de cette
première ville d'Estonie.
Oui, c'est étrange : ce ne sont que quelques minutes de
déambulation vélocipédiques et pourtant, nous nous sentons bel et bien 'comme à
la maison'...
Depuis le mois de janvier, l'Estonie, contrairement à ses
deux consœurs baltes, ou encore à la Pologne, a intégré la zone euro. Le pays aurait
profité de la proximité de la Finlande pour développer à vitesse grand V son
économie et raccrocher ainsi plus rapidement le wagon de Maastricht.
Bien enfouis au fond d'une pochette depuis que nous avions
quitté la frontière germano-polonaise – les premiers jours du voyage, une
éternité de cela ! – nous ressortons comme une antique relique nos billets
et pièces estampillés des 12 étoiles et nous rendons dans le premier
'supermarché' qui se présente.
Un supermarché 'banal', avec son hangar à chariots enchaînés
les uns aux autres et que l'on libère en y insérant une pièce d'un euro ou à la
rigueur de cinquante centimes... les portes coulissent, les rayons sont
lumineux et une radio diffuse quelques classiques américains. Baaaaaby,
baaaby... tiens, les Supremes... Les gens déambulent à travers les allées,
derrière leur chariot, à demi penchés vers les rayons, qu'ils scrutent lentement.
Les gens se croisent sans se remarquer, regardant tantôt par dessus l'épaule
d'une autre, tantôt dans la direction opposée, tous absorbés par la tâche
méticuleuse... une petite fille à cheval sur le petit siège et bien agrippée à
la poignée pousse quelques cris d'excitation tout en tapant des pieds sur la
grille qui résonne.
Paysage familier...
Au rayon boucherie, nous devons prendre un ticket et attendre
que le numéro gagnant sorte. Une petite poubelle est installée au bout du rayon
pour nous soulager de l'encombrant ticket une fois le numéro sorti.
Devant l'étal si bien achalandé, nous surprenons un sentiment
inattendu : il y a du plaisir... l'abondance nous rassure. Nous détend...
nous donne comme un sentiment de sécurité... un sentiment de 'chez soi'.
Arrivés à la caisse, nous retrouvons les paillettes des unes
de magazines... Cameron Diaz en tenue de soirée, Monica Bellucci au regard
langoureux. Déjà nous voilà pris dans les filets : la revue s'est
retrouvée dans nos doigts, qui caressent la tranche et font défiler les images,
comme pour nous souvenir... Nos denrées avancent, s'immobilisent. Le petit
panneau de séparation est levé, déjà le moment de reposer le petit monde de
paillettes. Les bips de codes-barre se suivent, presque réguliers, une somme
s'affiche, que l'on n'a pour une fois plus besoin de convertir, nous tendons un
billet et la monnaie nous est rendue: la plupart des pièces sont rutilantes.
Au dos de celles qui sont usées, un cygne en envol.
Les portes automatiques du supermarché se referment. Devant
nous, des files de voitures, pour la plupart de marques allemandes de toutes
classes, bien ordonnées, auprès desquelles sont garés quelques chariots que
l'on décharge. Ces derniers rejoignent le hangar, les portières de la voiture
familiale claquent et la tâche ménagère est terminée : retour à la maison.
Sur le côté du parking, de grands sacs de tri sont chargés par un jeune homme
dans un camion benne, tandis que nous entendons le cliquetis des bouteilles
consignées que l'on rassemble dans des caisses.
Le trajet réalisé en bus de Ventpils à Pärnu via Riga, à
peine 350km autour du golf, nous a comme propulsés plusieurs milliers de
kilomètres en arrière, et nous voici comme revenus aux premiers jours... de
retour vers l'ouest.
Ici, l'ostalgie semble s'évanouir tout à fait. Une
intégration parfaite. Une conversion aboutie.
Drôle de sensation...
Tandis que nous remontons la rivière homonyme, laissant la
ville derrière nous non sans avoir repéré quelques cascades épanouies de
chevelures blondes Loréal/JC Decaux, l'impression d'être revenu chez soi ne se
dissipe toujours pas... par cette soirée bénie qui voit le soleil transpercer à
l'horizon les nuages bas sous lequel il se glisse progressivement, nous
croisons plusieurs cyclistes à la promenade sur quelques tronçons de piste
cyclables, soleil sur les joues, sourire au coin des lèvres et qui se balancent
doucement, légèrement, d'un côté, puis de l'autre, au fur et à mesure qu'ils
appuient sur la pédale. Les roseaux bruissent doucement, quelques canetons
fébriles poursuivent une canne qui se promène, se laissant glisser sur les
flots, comme à la dérive. En travers des cours, devant les portes de garage,
les vélos sont laissés à terre et la porte de l'entrée laissée ouverte.
Nous trouvons sans mal à poser la toile. Un camping chez
l'habitant.
De lourdes tables de pins à l'extérieur, un fumoir. Et tout
contre la forêt de résineux adjacente, des balançoires, un bac à sable. Une
table d'échec, aux pièces de bois, a même été disposée un peu à l'écart, dans
un petit renfoncement, près d'un cabanon au toit recouvert de végétation.
La jeune femme qui nous accueille prend tout son temps,
souriante et posée. Nous serons seuls ce soir, car nos hôtes seront de sortie.
Bien sûr, cela ne nous dérange pas.
Pris de cours par les derniers événements, nous lui demandons
comment se dit 'merci' en estonien.
Elle s'en amuse et prononce doucement... 'Aitäh' !
Le soleil s'est à présent tout à fait imposé.
Tandis que l'eau chauffe par dessus le réchaud, nous restons
là, assis à la grande table de pin, appuyés sur nos coudes, immobiles, à goûter
de cette quiétude... toujours avec ce drôle de sentiment d'être un peu 'revenus
à la maison'.