jeudi 1 mars 2012

Parc Grutas : un drôle de mariage des genres

When taken prisoners, Lithuanian soldiers were tortured to death: their eyes were put out, ears torn off, they were shot by explosive bullets’.

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A travers les cris d’enfants, les tourniquets et les balances grincent et couinent.

Un gamin a trouvé un bâton de bois et tape sur la culasse d’un canon, tandis que d’autres jouent à cache-cache autour des partisans soviétiques de bronze...

Советским партизанам подполЬщикам’
(‘To Soviet Underground Partisans’)

Drôle de parc que ce parc Grutas.



Le maître des lieux a eu cette idée saugrenue de collectionner le maximum de reliques, statues et autres emblèmes de l’ère soviétique du pays pour en faire une sorte de musée/parc du souvenir… où les enfants seraient invités à jouer.

Cet étrange parc est en effet un parc d’attraction…

Les wagons de déportation accueillent ainsi le visiteur juste avant de passer le portique où les glaces Miko lui sont proposées, à déguster autour des ‘attractions’ (qui se résument à quelques tourniquets, balançoires et tapeculs), réunies sur une placette bordée de soldats en armes et de canons de bronze, sous le regard éternel des partisans underground*...


Ce drôle de mariage des genres lui a bien évidemment valu les foudres de bon nombre de ses concitoyens, et des plus véhémentes… mais rien n’y fit : l’illuminé s’obstina encore et encore et parvint ainsi à réunir au prix d’une fortune (l’homme s’est enrichi en développant une conserverie de champignons) une grande partie des statues déboulonnées dans tout le pays depuis ces vingt dernières années.

Celles-ci ont été disposées en bordure d’un ‘sentier promenade’ à travers la forêt, sentier bordé de douves, barbelés et miradors.

Du haut de ces derniers, quelques haut-parleurs parachèvent enfin le décor en crachouillant à longueur de temps quelques chants partisans…


Tandis que les enfants jouent à cache-cache dans les jambes des ‘partisans secrets’ sur la place d’attractions, les plus grands se photographient au pied de l’imposante statue de Lénine, qui ouvre quasiment la promenade. 



La véritable photo de famille, le triptyque d’or, c’est bien évidemment ‘Lénine / Engels / Marx’.
Ils sont bien sûr de la promenade, tout comme l'incontournable moustachu Staline.

Tous les personnages de ce paysage historique sont ainsi passés en revue au fil du sentier, redescendant progressivement tout au long de la promenade les échelons de la hiérarchie, pour présenter également les principaux émissaires et hauts-fonctionnaires lituaniens qui se sont ainsi succédés durant ces cinquante années de liens fraternels.

Ces derniers sont présentés dans l’ordre inverse de la chronologie, de sorte à ce que le visiteur retrouve de suite parmi ces figures celles qui lui sont les plus familières…

Ainsi, au fur et à mesure que l'on avance, l’intérêt décroît proportionnellement à la distance parcourue : le sentier si joyeusement animé à ses débuts perd peu à peu son caractère d’attraction et donc de sa fréquentation, le promeneur devient plus solitaire, et les chans partisans, devenus familiers, finissent sournoisement par résonner en creux... et l’imprégner doucement.


Une bicoque en bois accueille alors ces persévérants.

Elle est chauffée au bois, et mal ventilée. Mal éclairée également.
Et surchargée de bric et de broc.

Des drapeaux en berne, des bustes déchus, des médailles en vrac mêlées à des pièces de monnaie, des billets jaunis, des carnets à la couverture de cuir fané, des livrets officiels et tamponnés, des lettres manuscrites, des articles de journaux passés, des photographies sombres...


Celles-ci multiplient comme à l'infini des portraits de barbus célèbres ou illustrent des moments forts de l'Histoire du bloc de l'Est: des armées en marche, des conquêtes spatiales, des gerbes de blé et des foulards...


… des barbelés et des chars...

... des cercueils et des charniers…

...


Ici aussi, sous le nombre et les formes, nous nous laissons rapidement gagner par une sorte de vertige nauséeux dans lequel se mêlent ces créatures.

Les bûches craquent dans le fourneau, et sinon, tout n'est que silence... et pesanteur.
Sans un mot, à pas lents, nous regagnons la sortie.

Une femme est assise derrière une table bancale, juste à côté du poêle, le regard dans le vide…

Nous lui faisons un signe de tête.

Sans réaction.



Le reste de la promenade est effectué à pas rapides, n’accrochant que de manière sporadique aux écriteaux, pancartes et autres indications qui continuent d’accompagner ces n-ièmes bustes de tortionnaires, tyrans et autres exterminateurs de l’Histoire.

La coupe est pleine et peine à s’extraire du lieu, des chants et de la bicoque mal ventilée…


d’ailleurs nous avons bien de la peine à nous extraire d’une réelle nausée.

Une nausée qui ne serait pas tant celle de l’Histoire que celle du marché au puce.



En 1999, le Mur de Berlin était tombé depuis dix ans déjà… un anniversaire qui, chez nos voisins, ne fut bizarrement pas célébré avec faste. Il faudrait attendre 2009 pour retrouver cotillons, dominos et Géants Delux et des foules débordantes sur les bords de la Spree.

Il faut du temps.



Tandis que nous retrouvons la place aux attractions, c’est un étrange sentiment qui nous gagne.

Encore remués par la bicoque au Pathos manifeste, nous regardons ces enfants se courir les uns après les autres, sourires aux lèvres et poussant des cris stridents.

Pure insouciance au cœur de ce cercle de figures de bronze.


Trop remués pour y voir clair, nous reprenons le chemin du retour pour Druskininkai.

Peut-être le thé d’Ugnė saura-t-il nous éclairer…


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